Lundi 19 mai 1997

Rebranché la télé pour regarder Barton Fink ; un bon film, à la fois marrant, intelligent, et inventif sur le plan formel (avec une esthétique très stylisée, qui fait penser à la bande dessinée — à l’univers de Prado en particulier, c’est peut-être un hasard) ; je me suis aussi demandé si, avec son histoire impossible à élucider — il est impossible de savoir qui a tué la fille, ni comment ça a pu se produire, ni si la boîte confiée au héros et qu’il place à côté de sa machine à écrire, puis qu’il trimballe avec lui à la fin, contient ou non la tête coupée de cette fille — il n’y avait pas une référence au Grand sommeil de Hawks : le scénario en a été en partie écrit par un écrivain appelé à Hollywood et qui n’y a rencontré aucun succès – Faulkner – comme Fink dans le film, ou comme l’écrivain moustachu et alcoolique qui fait des crises de démence, et lui ressemble après tout beaucoup. Je l’avais vu à la sortie, après sa Palme d’or à Cannes, mais je ne me rappelais plus que c’était déjà si loin (en 91).

Aujourd’hui, je n’aurai adressé la parole à personne ; je ne suis pas sorti, je n’ai pas passé de coup de téléphone ; le monde, je suppose, ne s’en est pas porté plus mal. C’est à ça que j’ai pensé un moment, un peu engourdi en face de mon poste de télé : je me plains tout le temps que les autres (du moins j’en ai l’impression) ne m’accordent pas d’attention, etc… mais moi, je ne sers à rien ! Pour le reste, je me suis parlé à moi-même, mais ça je ne peux pas m’en empêcher.

En bas de chez moi, deux groupes de jeunes bourgeois ont arrêté leur combi Volkswagen et discutent ; ça doit être des surfeurs — je dis ça à cause des combis, mais ils en ont aussi la tête, on les croirait sortis d’un clip de trash-fusion américain sur M6. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils ne se posent peut-être pas tous les problèmes que moi je me pose sans cesse, que ce serait pas mal de savoir comment ça fait…