J’ai repensé à ma conversation d’hier, à l’issue d’une seconde journée intégralement consacrée à corriger des copies (la plaie), et où je n’ai presque parlé à personne. Vers la fin (vers ce qui allait s’avérer la fin à cause de l’arrivée d’Ermold le noir) nous en sommes venus à parler d’amour. Je ne sais plus exactement comment c’est arrivé sur le tapis, mais ça n’a rien d’étonnant, j’en parle facilement — quoique là ça n’ait été qu’en termes choisis, comme je l’ai dit. Elle, estime que dès que l’ennui commence à poindre dans un couple, il vaut mieux se séparer, et a vilipendé ceux qui n’ont pas l’air d’y arriver, leur reprochant leur faiblesse (je l’avais amenée sur ce terrain, un peu mesquin, pour qu’elle parle d’Audrey ou de certaines autres de ses copines à propos desquelles c’est ce qui se dit). Elle ne voulait pas entendre que ce n’est pas toujours si facile de savoir même ce qu’on éprouve vraiment. Elle a bien dû se reconnaître naïve, en revanche, lorsqu’elle a admis croire — ne pas en démordre même — qu’il pouvait arriver que dans un couple cette passion dure toujours. Elle a juste trouvé mes objections pessimistes, les estimant par ailleurs contradictoires avec ma promptitude à m’attacher. Il était clair que ses propos sous-entendaient son amour pour Ermold, mais on sait qu’il est aveugle. C’est vrai qu’une passion aussi dévorante fait plaisir à voir ; mais elle fait un peu peur quand on connaît le gaillard (parfois ça paraît tellement incompréhensible, vu comme il est vraiment, égocentré, suspicieux, jaloux, insupportable…). Samedi je lui ai bien surpris des accès de tendresse insoupçonnables, et qui m’ont fait douter de mon jugement : mais c’était pour le chaton qu’elle lui a offert, pas pour elle ; et ensuite, comme je m’en étonnais, il a précisé qu’il avait toujours préféré les animaux aux humains. C’est une boutade cynique, mais peut-être le pense-t-il vraiment. Qu’il m’ait toujours parlé de L’Initiation à la haute volupté d’Isou, comme d’un de ses ouvrages favoris n’a rien pour dérouter, ce propos du héros du bouquin pourrait tout aussi bien se trouver dans sa bouche : « je me comporte comme un mufle avec elle, mais j’ai toujours été comme ça, égoïste dépourvu de complexes, poursuivant mon bonheur à travers les méandres de la conjoncture, capricieux comme le hasard même. Tout en souhaitant me montrer gentil envers ma partenaire, ma position me semble trop agréable pour désirer en changer » ; et comme lui, il se lasse vite.
Depuis le début du printemps je me suis remis aux expériences de culture en pots, j’ai mis à germer des pépins de pamplemousses, de kumquats, un fruit de pommier d’amour, dans ma cuisine. J’ai aussi mis à tremper dans l’eau un noyau d’avocat, dont j’ai bien failli désespérer ; mais depuis deux jours il se fend peu à peu sur toute la longueur, révélant le mécanisme de sa germination : c’est au centre du noyau que se loge la partie vivante de la plante.