Après-midi avec Laure, à une terrasse du Bouffay.
J’ai acheté il y a quelques jours mon premier livre de Fernando Pessoa, par hasard comme souvent : ce n’est pas une réussite. Ce Lisbonne, c’est une sorte de guide touristique, dont il avait projeté la publication vers 1925, sans qu’il vit le jour de son vivant. C’est une traduction de l’anglais : peut-être que Pessoa l’a écrit directement dans cette langue, qu’il parlait. J’espère (ça m’est arrivé de devoir lire un livre d’abord passé de sa langue d’écriture à l’anglais : le premier roman de Kenzaburo Ôe, Une affaire personnelle. Malheureux de n’avoir pas trouvé de traducteur du japonais pour ça…). Le problème est plutôt que l’ouvrage n’a aucun intérêt. Il s’agit d’une recension systématique de tout ce qu’on pouvait alors voir à Lisbonne en matière de monuments : c’est d’un monotone plombant. Rien qui laisse supposer la marque d’un écrivain — grand ou pas : c’est sans style, sans aucune originalité. Même souvent d’un goût douteux : il invite à visiter jusqu’aux casernes militaires. Il s’attarde en coûteuses descriptions sur la moindre statue de saint ou de n’importe qui, jamais sortie des fonderies avant 1880 (des objets rarement intéressants d’un point de vue artistique). Sans compter le nombre de fois où il s’appesantit sur le coût de tel édifice – tant de millions de livres sterling, c’est vraiment beaucoup d’argent –, ou le poids de telle pièce d’un trésor d’église… Des quartiers comme Alfama sont bâclés en deux phrases, ce qui n’est pas pour surprendre. Mais ça n’explique pas ce conformisme réactionnaire qui assomme à toutes les pages. Je ne connais pas Pessoa. Mais à une époque où on s’enthousiasmait en Europe pour les arts primitifs, où l’abstraction en peinture avait déjà quelques années, des jugements de ce type chez un écrivain novateur sont assez incroyables. Même si on ne peut pas toujours être à la pointe dans tous les arts (fait maintes fois constaté), et que le livre est émaillé de connotations nationalistes où la démarche s’explicite un peu, j’ai du mal à croire que le Portugal ait pu être aussi arriéré alors. Et s’il s’est agi d’une commande d’un éditeur de l’époque, on se demande ce qui a bien pu pousser un homologue français d’aujourd’hui a faire imprimer ce pensum – un pieux exégète, il faut croire.
Rien qui évoque Lisbonne, qui plus est, et donne à voir un peu de ce qu’est cette ville effectivement merveilleuse. Rien qui parle à l’imagination et au désir ! Une fastidieuse liste de monuments et de bâtisses sans âme. C’est à n’y rien comprendre, si Pessoa est Lisbonne, comme on le dit, et que la ville hante son œuvre comme il en a épuisé les ruas, les largos et les calçadas à moitié ivre. N’importe quel écrivain qui a parlé de Lisbonne l’a fait mieux que ça.