J’apprends à l’instant que je recommence à travailler dès lundi… C’est tôt. Jusqu’ici (c’est-à-dire depuis que je suis entré à la fac en 1989), mes vacances avaient toujours duré jusqu’à la mi-octobre ; que ça ne puisse plus être le cas, je le conçois, mais rentrer le 1er septembre, c’est tout de même indigne.
Hier soir, vu Mars Attack !, le dernier film de Tim Burton, avec Georges, qui en attendait beaucoup. C’est une parodie très bien étudiée des films de science-fiction catastrophe, très critique des procédés hollywoodiens classiques (quoique produite par un grand studio). J’ai bien ri, ce qui arrive rarement au cinéma, puisque je vais rarement voir des comédies. Beaucoup de choses excellentes. Le projet n’est peut-être pas complètement abouti tout de même, il y a des côtés très brouillons : mais une joyeuse pagaille. Parmi ce que j’ai préféré, il y a les scènes d’amour entre le professeur (joué par le dernier James Bond en date) et la présentatrice de télé nunuche, démantibulés par les affreux Martiens : l’homme n’est plus qu’une tête, suspendue au dessus du sol par une sorte d’arc électrique, et celle de la femme a été greffée sur le corps de son chien minuscule (et vice-versa). Les deux personnages, prisonniers dans la soucoupe volante, font comme si de rien n’était, et ne subsiste que leur marivaudage. Le plus anormal devient normal, de même que les contradictions font bon ménage (les Martiens, teigneux comme pas possible, massacrent tout sur leur passage, tout en assurant « qu’ils ne veulent que la paix »[1]).
À l’entrée du cinéma, j’ai revu mon ancien condisciple Denis, le fanatique d’Edgar Poe : celui-là même que j’avais préféré éviter le soir de Chungking Express. Je n’ai pas refait la même erreur ; mais nous n’avons parlé que quelques minutes anodines, quand la situation aurait requis une plus ample conversation (il y a bien quatre ans que nous ne nous étions vus). Ensuite, Joris et moi avons dîné à son appartement, et on a fini la soirée chez Loïc allée de Turenne — enfin chez Coline, mais elle n’est pas là pour le moment, et Loïc squatte chez elle. Jean-Phi m’a reparlé des chansons sur lesquelles il veut que je joue de la basse, et il en a jouée une — très marquée par la low fi américaine, donc pas si loin que je le pensais de ce qu’il faisait dans Bad Wound, même si ce n’était pas lui qui composait les chansons, mais Alexandre, le chanteur guitariste. À la fin, alors qu’il n’y avait plus que Joris et moi, Loïc a bien voulu passer quelques unes de ses dernières chansons (j’étais le seul de nous trois à ne pas encore les connaître). Elles ne ressemblent à rien de ce qu’on peut entendre chez tous les jeunes chanteurs français. Elles sont souvent surprenantes. Certaines montrent une nette influence de la musique polyphonique vocale de la Renaissance — ce qui transporte dans un monde tout à fait différent de celui du rock (limité il faut dire).
[1] Peut-être à cause de la machine à traduire qui ne fonctionne pas bien ; mais difficile d’en être sûr. Et puis ça ressemble à ce que font les états-Unis quand ils envahissent un endroit : c’est toujours pour y maintenir la paix.
Tout ça fait que je ne me suis pas levé avant une heure cet après-midi. Je me suis reteint les cheveux en rouge et, attendant que le henné agisse, j’ai lu quelques pages des Quatre branches du Mabinogi que j’ai emprunté à Joris – des contes gallois du Moyen Âge : j’aimerais écrire quelque chose en rapport avec ça, séduit peut-être d’abord par l’étrangeté des noms, et les résonances en moi d’un vieux fond « celtique ».
Je voudrais revenir sur cette jalousie que je ressens parfois pour mon frère. Lorsqu’on était plus jeunes, la différence d’âge entre nous, plus sensible, faisait que j’étais naturellement l’aîné, et lui celui qui suivait ; mais maintenant les choses ont changé, et dans de nombreux domaines, elles se sont même inversées. Il arrive que je me sente en état d’infériorité, notamment dans le fait que je sois celui qui ne voit jamais rien, qui est toujours le dernier à être au courant de ce qui se passe : je n’ai aucune pénétration psychologique, et je le jalouse de savoir susciter chez certains de nos amis des confidences, là où je n’en serais jamais capable (par exemple de Paul et Victoria — séparément — à propos de leur couple qui a l’air de battre de l’aile). De ce point de vue, j’ai le sentiment d’être encore un enfant : celui qui ne peut être dans le secret des dieux et dont, finalement, nul n’a vraiment besoin. Les relations en sont déséquilibrées.
4 heures du matin. D’abord avec Chepe, Paul (seul : je trouve bien qu’il sorte seul de temps en temps) et deux de leurs copines. On devait aller boire des coups aux Rendez-vous de l’Erdre, festival musical sur les quais, mais il pleuvait comme vache qui pisse, on s’est repliés sur un restaurant, puis au Saguaro, où à ma grande honte j’ai fini par les lâcher pour aller avec Matt et Loïc — Matt que, mis à part hier soir, je n’avais pas vu depuis longtemps. J’ai revu sa copine, grande Anglaise gironde, accompagnée d’une des siennes, qui s’est révélée être l’assistante d’anglais du collège où j’étais pion l’an dernier (une Écossaise adorable et très francophile) : aussi bourrée l’une que l’autre à leur arrivée. Assez bonne soirée, mais à consommer sur place.