Jeudi 25 septembre 1997, Nantes

Aujourd’hui à nouveau, et comme depuis une quinzaine de jours sans discontinuer, il a fait un temps de plein été ; 28° et pas un nuage pour voiler le soleil. Un peu après midi, la mère de Xavier est morte. Je l’ai appris en rentrant de chez Victoria vers neuf heures ; je n’attendais qu’un message d’Ermold, qui doit me confier son chat pour ses vacances à Lisbonne, mais il y en avait aussi un de Bérengère ; et un de Maman avec une toute petite voix toute étranglée. Je me suis mis à trembler de tous mes membres, incapable plusieurs minutes du moindre mouvement maîtrisé. Puis j’ai rappelé et Bérengère, et Maman, et on a parlé longtemps. Annie était une amie de Maman ; enfin elles se connaissaient bien. Et moi, c’est depuis vingt ans, pour ainsi dire, je la connaissais. C’est la mère de mon meilleur ami pendant presque tout ce temps. J’ai pris mon courage à deux mains pour prévenir D., et aussi Clément à travers l’Atlantique. De drôles de circonstances pour étrenner leur numéro. Mais c’était un devoir de le faire.

Elle était hospitalisée depuis lundi, et là, mais j’ignorais tout ça, c’était la fin ; le cancer a fini par la rattraper. Le cancer, elle le combattait depuis longtemps. On espérait qu’elle vaincrait. Les mots me restent bloqués dans la gorge, et puis ce sont des sanglots qui vont venir à la place. Xavier, lui, a pris le train ce matin, il savait que c’était grave ; peut-être la fin. Mais quand il est arrivé à la gare, il a téléphoné à l’hôpital, et c’est une infirmière qui lui a appris que sa mère venait de mourir. Il n’aura même pas pu la voir vivante une dernière fois. Tout ça c’est Bérengère qui me l’a raconté, c’est elle qui l’a ramené à la maison de ses parents. Il était complètement perdu, et a mis beaucoup de temps à lui dire ; elle, elle savait juste que sa mère était à l’hôpital. Personne parmi nous ne s’y attendait, ne savait même l’état dans lequel était sa mère. Quel dur moment… avec Claire qui travaille à une heure et demie de voiture de chez eux, et qui ne peut pas rentrer tous les jours, il est seul la semaine. C’est effrayant de perdre sa mère. Et en plus on est si jeunes ! à côté, tout devient contingent. Le monde ne peut plus être le même, et il met du temps à simplement exister à nouveau. Pour nous tous aussi c’est un choc affreux ; pas autant, bien entendu, mais affreux tout de même. Enfin je n’ai pas envie de continuer, ça n’a pas de sens d’aligner des mots. C’est presque même une injure. Je ne peux pas mettre tout l’ordre qu’il faudrait. Ou bien il faudrait que ce soit quelque chose comme un hommage, mais je ne m’en sens du tout pas capable.

Dans la soirée Joris est venu, il ne voulait pas trop rester seul chez lui, et moi non plus. Mais on a parlé d’autre chose. Et quand Ermold et Marie-Charlotte sont venus pour amener le chat vers minuit, on ne leur a rien dit. Peut-être que j’avais déjà trop prononcé le mot mort, il est très lourd à porter, surtout quand il s’agit de quelqu’un dont la vie aurait dû encore beaucoup durer. N’était la maladie. Je pense fort à Xavier. C’est presque inimaginable. Je ne parlerai pas tout de suite des jours qui vont venir. L’idée même qu’en conserver ici le souvenir est importante est pour le moment trop lourde à porter elle aussi.