Vendredi 28 novembre 1997

Vu deux films des 3 Con ce soir, seul, comme je vais commencer à en avoir l’habitude. D’abord Où est la maison de mon ami, le premier Kiarostami que je voyais, très séduisant sans volonté de l’être ;  les cadrages, qui utilisent adroitement les verticales du décor — piliers en bois des maisons, etc. — sont souvent d’une composition admirable, et cernent de très près les personnages sans jamais les étouffer ; les enfants sont filmés avec une grande justesse (j’ai trouvé que le petit héros[1] ressemblait à Hélène, la copine de Clément), et le récit se prête à de nombreuses interprétations intéressantes : il y a un évident parallèle entre l’éducation et le pouvoir ; on peut sans doute en déduire pas mal de choses sur la dictature des mollahs en Iran. Mais ce qui m’a peut-être plu le plus, c’est cette absence totale d’effets, tant dans la mise en scène que la conduite du récit : un cinéma humble, qui, là encore, retrouve le plaisir simple mais fondamental de filmer, d’enregistrer (et donc construire) sans effet de manche — mais une liberté à n’en pas douter très pensée : je serais très étonné que, par exemple, le chemin en zigzag qu’emprunte l’enfant pour aller au village voisin où habite son ami ait préexisté au film ; il n’est certainement dû qu’à la volonté de Kiarostami (ou bien c’est une sacrée bonne idée de l’avoir repéré). Ensuite, je n’ai eu que le temps de remonter au Katorza sous une pluie battante pour assister à la projection d’un film ouzbek dans des conditions un peu surréalistes. Le film n’avait aucun intérêt, semblant l’œuvre d’un type viré de l’école de cinéma avant la fin du premier semestre (les acteurs, notamment, en faisaient des tonnes) ; l’histoire, une sorte de voyage picaresque dans la boue entre un kolkhose et je ne sais quoi, agrémenté de problèmes de tous ordres avec une police stupide et corrompue, était plutôt incompréhensible ; mais les conditions dans lesquelles il était montré valaient le déplacement : aucun sous-titre à la version originale en russe évidemment, mais on devait disposer d’une copie destinée au public russe, parce que les passages en ouzbek étaient doublés sur la bande par une voix féminine se surajoutant au son original, voix qui faisait seule tous les personnages. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que ce n’était probablement pas une voix off ; d’autant plus que la traduction en direct était particulièrement pénible, la fille parlait à peine le français, reproduisait d’un ton monocorde et maladroit les dialogues avec à chaque fois quinze bonnes secondes de retard, parfois laissait tomber des passages entier, bafouillait. C’était si insupportable que la moitié de la salle s’est vidée avant la fin, et qu’une fille dans le public a fini par aller traduire à la place de celle qui était chargée de ça (sans doute une étudiante en russe, mais française quand même) : et c’est vrai qu’elle s’en est tirée nettement mieux. Sans pour autant qu’on cerne mieux de quoi il était question. Dans la salle, les rires et les commentaires fusaient comme si on avait été dans une foire, c’était à la fois amusant et gênant. Qu’un (mauvais) film sur la décomposition de l’Union Soviétique dans les marches de son empire soit présenté dans des conditions aussi catastrophiques était plutôt comique, mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’un festival qui a bientôt vingt ans d’existence et se prétend renommé puisse offrir des conditions aussi misérables aux gens qui paient pour voir les films sans en rougir jusqu’à la racine des cheveux. J’imagine que trouver des gens qui traduisent correctement ne doit pas être tâche impossible. Il y a tout de même un amateurisme qui, après avoir fait sourire cinq minutes (ça donne en quelque sorte l’impression d’être entre nous), devient exaspérant.

Ensuite, tombé sur Marie-Charlotte et Ermold chez Pichon, où il y a une exposition de photographes mexicains, et allé boire au Saguaro avec eux, où nous ont rejoint Adalard et Radulphe. Parlé de cinéma, puis des jeux ultraviolents sur ordinateur comme Doom ou Quake (que j’ai découvert à la fac grâce au Minotaure qui avait installé Doom sur un ordinateur ; je ne suis pas hyper bon, mais on y passe vite du temps).

[1] Au plein sens du terme.

https://www.youtube.com/watch?v=Z1A29hS4JhQ