Mercredi 14 janvier 98, en voiture entre Nantes et Rennes (campagne d’hiver française dans sa splendeur nostalgique et rigoureuse)

Doux soleil sur ma nuque. À l’arrière de la Punto empruntée à Maman, je prends quelques notes dans les interstices de la discussion avec Joris et Mathieux, fournie comme toujours — j’écris là pour le plaisir. Controverse à propos des tamagochi, ces petits écrans à cristaux liquides originaires du Japon (comme leur nom l’indique) où s’agite un animal virtuel dont il faut s’occuper à intervalles réguliers si on veut le garder en vie. Joris s’en est fait prêter un lundi soir à une fête d’anniversaire où on était, et, très consciencieux (ça n’étonnera personne), presse de temps en temps les boutons du boîtier pour voir si la bête n’a besoin de rien. Mathieux s’insurge de toute sa grosse conviction comme la plupart des gens, estimant que des animaux virtuels sont un signe de plus de la décadence de notre société qui fonce tout droit dans un futurisme qui va emporter tout sens des réalités (je ne le caricature pas). À mon avis, c’est faire beaucoup de bruit pour pas grand-chose ; ce n’est guère qu’un jeu, mais qui s’étale dans le temps de manière diffuse, à la différence des autres (sur ordinateur ou pas) qui y sont très circonscrits. C’est sans doute un gros préjugé que d’y voir un danger pour les enfants, qui (soi-disant) ne sauraient bientôt plus différencier le vivant du virtuel. Comme c’est de leur génération, ils savent probablement beaucoup mieux faire la part des choses que nous. D’ailleurs ça m’amuse moi aussi, je pourrais en acheter un[1].

Je me sens toujours vasouillard de la soirée de lundi, où on a été invités par une fille que je ne connaissais pas samedi après-midi encore ; quelqu’un rencontré par hasard par Mathieux il y a quelques semaines, débarquée de Paris à Nantes parce que son copain a été engagé comme journaliste à Sept à l’Ouest, l’hebdo régional qui vient de se monter, où Ermold fait des critiques de cinéma. Des gens sympas, amateurs de Marc Ribot et de John Zorn (un musicien d’avant-garde finalement assez connu autour de moi ; je n’en ai jamais rien entendu, je sais juste que c’est une sorte de jazz noise). Ils ont trouvé un appart rue Contrescarpe, dont les fenêtres donnent sur la rue : très bien situé. Et mardi soir, c’était vernissage aux Beaux-Arts : double expo Sorin/Orlan (cette dernière que j’ai vraiment du mal à comprendre ; enfin au sens où je ressens un certain dégoût face à certaines pièces, comme les films de ses opérations. Je ne vois pas bien ce que ça m’apporte au-delà d’être mal à l’aise parce que je n’ai pas envie de voir ça). Le cocktail était nul, comme d’habitude. Il fallait jouer des coudes comme les mégères à la braderie pour se voir servi un tout petit verre de mauvais vin blanc. Simagrées de Paul et Victoria ensuite sous la pluie. Paul essayant de passer pour maîtriser la situation, s’emportant, ne trompant personne, pas même lui. Puis au Saguaro et dans un restaurant chinois, avec en plus Joris et Marie-Charlotte, convaincus de nous accompagner quoiqu’ils n’aient pas d’argent (on leur prête). Pas une soirée flamboyante, tous fatigués. Ermold, lui, est à Paris. Je me suis aussi laissé convaincre d’adhérer à leur asso. Je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir y foutre, mais il y a des projets, il pourrait y avoir des subventions. Je ne sais pas dire non. Encore moins quand c’est à des illusions d’exister.

[1] Ça existe depuis quelques temps déjà, mais je n’en avais jamais vu avant qu’Ermold et Marie-Charlotte ne sortent de leurs poches un soir au Flesselles ceux qu’ils se sont mutuellement offerts. J’étais d’ailleurs moi aussi plutôt contre au départ ; mais je suis contre tout pour commencer.