En fin d’après-midi, j’ai vu Maël et Léandre ; la dernière fois remontait à deux semaines, et ils ont déjà changé. Ils sont déjà beaucoup plus expressifs, commencent à sourire vraiment, tentent maladroitement d’effectuer quelques mouvements (approcher son pouce de sa bouche, opération bien plus difficile qu’il n’y paraît), et n’hésitent plus à brailler. Ils me plaisent ; j’aime les avoir dans les bras (enfin, un à la fois). Adeline m’a donné des photos.
Avec les performances vidéOzone, j’ai d’ailleurs vu Adeline et Fred plusieurs fois cette semaine, de même qu’Arnaud et Sophie, qui se sont souvent déplacés – la danse intéresse beaucoup les deux filles. Moi je les ai toutes vues, j’ai été assidu. Ça a été à chaque fois intéressant, et l’ensemble très divers (je craignais que tout se ressemble). La dernière : Sorin accompagnant des danseurs de hip hop. Incrusté sur un écran aux fonds dégueulasses comme il sait si bien le faire, il s’efforçait d’imiter avec une maladresse aussi voulue qu’inéluctable leurs mouvements acrobatiques, vêtu d’un caleçon long et d’un marcel distendu. L’amusant est qu’on pouvait aussi aller le regarder en action, au premier étage de la galerie où il se filmait, à travers une glace sans tain. Il avait tout l’air de se faire très plaisir, mais de tous, c’est lui qui suait le plus. C’est incroyable comme les danseurs semblaient évoluer sans effort. C’était aussi un peu étrange, le décalage entre eux et le public branchouille qu’on faisait, peu habitué à ce type d’expression, où le terme de performance prend vraiment tout son sens[1]. L’exploit individuel, non plus que la notion de défi lancé (de façon implicite) au partenaire, ne fait pas trop partie des procédés de l’art contemporain — « bourgeois », je serais presque tenté d’écrire. Certains en ont été gênés, Broerec, Mathieux ; mais tous on a remarqué ce décalage. De là la facilité avec laquelle naît la condescendance pour tout ce qui sort de ses propres critères de jugement. Cela dit, qu’on ait pensé ça ou non, il n’est pas exagéré de parler d’une différence de culture sur ce point entre des vrais B boys (c’est le nom que se donnent ceux qui se reconnaissent dans la « culture hip hop »[2] et y participent) et des gens comme nous : l’approche de ce qu’est l’expression n’est pas du tout la même. Je ne suis pas loin de penser que la leur est plus saine, plus franche, même si je me sens mal l’avoir. Enfin j’ai apprécié cette semaine ; et Ermold s’est montré beaucoup plus sympa que je ne l’ai dit la dernière fois — j’avais vraiment une dent contre lui. J’ai été un peu déçu de l’indifférence de Sorin, qui ne m’a salué aucun soir, même pas du bout des lèvres, mais c’est faire une montagne de pas grand-chose : je ne le connais pas, après tout.
Puis soirée très tardive, à beaucoup boire en divers endroits. Fred, qui est venu seul hier soir nous a vite quittés pour se rendre à un anniversaire ; peut-être ne se sentait-il pas non plus très à l’aise au milieu de tant d’inconnus (même si les différents cercles de mes amis et copains[3] sont de plus en plus entrés en contact ces derniers temps). Comme lorsque j’ai bu et que je suis en forme, j’ai parlé abondamment sur tous les sujets. Dans un des bars où on a traîné, je me suis retrouvé, je ne sais plus comment, à discuter avec un mec qui m’a dit s’appeler Gábor, et que c’était hongrois ; Pat Gábor. Je sais bien que c’est hongrois, mais à mon avis c’est juste pour se donner un genre. Plutôt sympa, autrement. Un peu speed, l’air vaguement halluciné. L’air, aussi, de ne pas savoir quoi faire de sa peau. Il était en compagnie d’un autre, un maigre aux cheveux longs ondulés, look un peu grunge ; il me l’a présenté comme son frère, mais je ne sais pas non plus si c’est vrai, ils ne se ressemblent pas du tout. On a parlé de musique ; c’est un copain de Mathix ; enfin ils se connaissent par la musique : il jouait dans un groupe à peu près en même temps que Splash et nous, et le mec avec qui il était devait être le chanteur. Je les ai vus en concert une fois. Je n’en garde pas un souvenir très net. J’avais bu, ou j’étais occupé à autre chose. Une musique compliquée ; assez mal jouée. Comme la nôtre, finalement.
[1] Et l’usage est d’applaudir la sortie de chaque danseur (qui viennent à tour de rôle au centre de la piste) : comme après un solo de jazz.
[2] Ces guillemets ne sont pas méprisantes : c’est simplement que l’expression balancée comme ça fait très journalistique, et ne me correspond pas.
[3] Ou l’inverse, comme dirait Paul, qui établit entre les deux termes une hiérarchie contraire à celle de la plupart des gens.