Cette nuit je suis rentré de l’Olympic jusque chez moi à pied : ça ne m’était jamais arrivé (j’avais toujours fini par trouver quelqu’un). À force de me résoudre à aller seul aux concerts, ça devait bien finir par se produire. Les deux seules personnes que je connaissais un peu étaient venues à vélo, et je n’ai pas eu le courage d’attendre la fin pour quêter une voiture, j’étais trop crevé ; j’ai même raté les derniers morceaux du concert d’Ulan Bator : c’est qu’ils sont montés sur scène à pas loin d’une heure du matin, et que j’étais là-bas depuis huit heures et demie (et seul les heures sont encore plus longues). C’était pourtant vraiment bien ; efficace — et entendre à nouveau la pulsation si particulière du rock a remué les vieilles envies tapies. Mais juste avant, un trio d’improvisation jazz m’a achevé : un batteur qui faisait n’importe quoi (ce n’est pas parce qu’on improvise qu’on est obligé de faire la démonstration de tout ce sur quoi on est capable de taper), un saxophoniste italien qui ressemblait à Christian Clavier, et un guitariste à mille doigt. C’était trop. L’improvisation et le bruit ne me dérangent pas, il y a pas mal de trucs qui répondent à ces canons que j’aime ; mais là, non — à part de la pure régression par moments. Ça ne m’évoquait rien, et c’était crispant au-delà du permis. Nettement mieux en début de soirée. D’abord une improvisation sax ténor/guitare préparée sur des images de Nantes en 8 mm, assez méditative (qui m’a fait penser au concert de Sister Iodine l’an dernier, le premier du genre auquel j’assistais, et qui m’avait estomaqué : deux types penchés avec concentration sur leurs machines, quasi-immobiles, triturant les boutons pour modifier les sons incroyables sortis de leurs guitares posées à plat sur des tables[1]) ; et puis Roof, groupe culte à ce qu’il paraît dans son milieu, composé d’un batteur heureux de vivre, d’un bassiste qui joue comme un guitariste rythmique de rock, du violoncelliste Tom Cora, et d’un chanteur incroyable, Phil Minton — pas un chanteur au sens classique du terme, quelqu’un qui utilise le chant à l’égal d’un instrumentiste. Tom Cora souffrirait d’une leucémie[2], et on nous avait demandé expressément de ne pas fumer dans la salle jusqu’à la fin de leur concert : à la pause tout le monde s’est retrouvé agglutiné dans le hall exigu à l’entrée de l’Olympic. Le concert était vraiment excellent, oscillant entre les destructurations classiques de la musique contemporaine et des moments où transparaissaient de façon jouissive des bribes de mélodie ou de rythmes plus cohérents qui emportaient les morceaux à de grandes hauteurs.
[1] On place un petit appareil électrique sur le manche pour faire vibrer les cordes en continu, sans qu’il y ait besoin d’y toucher plus directement. Je ne le savais pas alors, mais c’est en général ça qu’on appelle guitare préparée. Il est à noter que lors de cette soirée (c’était à Trafic, à l’usine LU) jouait déjà Ulan Bator, mais qu’on les avait ratés parce qu’ils avaient joué trop tard : à trois heures et demie du matin il restait encore un groupe avant qu’ils montent sur scène…
[2] Jeanne et Nicolas l’ont vu à Paris la semaine dernière avec Fred Frith, et il avait l’air si peu en forme qu’ils ont eu l’impression qu’il se contentait de jouer le minimum vital.