Agréable après-midi en bord de rivière doucement pluvieux avec Bérengère ; c’est elle qui a téléphoné à la maison (des parents) pour savoir si elle pourrait nous voir Joris et moi. Elle a décidé de se séparer de Greg un mois pour se donner le temps de savoir ce qu’elle veut vraiment, et part s’installer chez sa grand-mère, avant d’aller quinze jours sur un chantier de fouilles. Elle revient juste d’Angoulême, où elle a fait un court passage pour lui faire part de cette décision. Lui ne doit pas prendre tout ça bien, même si les difficultés entre eux ne sont pas nouvelles (ce qu’on n’a toujours su qu’à demi-mots, comme je l’ai dit), et que ce n’est pas encore un avis de fin définitive : ça y ressemble tout de même ; c’est plutôt que Bérengère a besoin de temps pour affermir une décision qui doit être déjà prise, peut-être sans qu’elle le sache bien elle-même. C’est difficile de sortir de six ans de sa vie. Greg espère encore, j’imagine, mais un couple sort rarement de ce genre de mauvaise passe. C’est triste, parce que c’est de la souffrance, surtout pour lui qui ne détient pas les clefs de la situation, et qui va se sentir isolé à Angoulême (où de toute façon Bérengère ne retournera pas) ; triste aussi parce que c’est un autre couple qui se casse la figure, et que pour nous non plus, ce ne sont pas des moments agréables. C’est un peu déprimant. Enfin comme ça on est tous pareil — soit les gens se quittent, soit ils font des enfants[1].
Restés longtemps sur un vieux banc face à une rivière de paysage anglais, dans une intimité précieuse. On a regardé les canards, et des chevaux en liberté dans le parc du château un peu plus loin ; et bu du whisky à la petite flasque qu’Adeline et Fred ont offerte pour son anniversaire à Joris. J’étais aussi lourd du couscous mangé chez les parents, et mal remis de la soirée d’hier (en plus on a perdu une heure de sommeil avec le passage à l’heure d’été — été qu’on ne sentait guère, si ce n’est dans la douceur de la température, qui faisait très bien supporter de n’avoir qu’une chemise et un tee-shirt).
Hier soir j’ai pris un verre au Saguaro avec Xavier et Claire, que j’étais heureux de voir un peu plus longuement que ces derniers temps, et au calme. Puis je suis allé à l’Olympic, où j’ai retrouvé Mathix, pour voir Tortoise. Excellent concert, varié dans les ambiances ; à nouveau la certitude d’assister à un spectacle d’exception. J’y ai également parlé avec Patrice (Verbeeck), plus que dans les trois dernières années ; depuis qu’il est fâché avec nous en fait. Ensuite, téléphoné à Joris d’une cabine sur la place pour qu’il passe nous chercher Mathieux et moi, et à une fête à Casson, avec aussi Loïc et Coline. La fête était tellement énorme (cinq ou six cent personnes) que l’endroit avait dépassé ses capacités d’accueil et que le mec à l’entrée du chemin a refusé de nous laisser entrer avant une heure ou deux. Plutôt que d’attendre (ça aurait cassé toute envie), on est allés se garer plus loin sur la route, et on a coupé à travers champs, haies vives et clôtures barbelées pour entrer en douce à la faveur de la nuit noire. C’était tout l’excitant de l’affaire : se sentir en commando en pleine nature, avoir peur d’être pris. Une fois parvenus dedans, le monde était effectivement infernal, avec menaces récurrentes d’être à court de boisson, et empoignades serrées pour accéder au bar. Quelques copains (aussi des gros cons). Ni Ermold, ni Marie-Charlotte, ni ses copines, que j’avais un petit espoir de trouver, en revanche ; soirée sans avancer d’un pas auprès des filles, je commence à y être habitué. D’autant plus que ce n’était pas l’endroit idéal qu’on pourrait croire pour faire de nouvelles connaissances — un milieu ouvert plus que fermé en réalité, pour reprendre une des dichotomies sociologiques de Mathieux (sur les lieux où les gens se rencontrent selon leur milieu social). Bref, ce n’était pas passionnant. Jusqu’à ce que mon chemin croise celui de Baptiste, le copain de Mady, avec qui j’ai alors entamé une grande discussion arrosée de la bouteille de rouge qu’il avait pris soin d’apporter dans son sac à dos, et avec qui enfin, je tripais bien. Quand Joris est venu nous interrompre pour prévenir qu’il était trop fatigué pour rester une minute de plus (j’ai dû me résoudre à partir, faute de savoir comment rentrer de ce coin paumé autrement).
[1] Ces jours-ci, il y a aussi Fabien, l’ancien guitariste de Bad Wound, qui a l’air de quitter la fille avec qui il était depuis cinq ou six ans ; lui aussi « veut réfléchir » et a déménagé chez des copains. Difficile de s’en douter pourtant à la fête qu’ils ont donné il y a une semaine ou deux. La différence entre les gars de Bad Wound et nous, c’est que chez eux, ce sont les mecs qui partent (ils veulent la liberté). Sa copine était un peu perdue quand on l’a vue Mathix et moi à l’Olympic.