Mardi 2 juin 1998, Nantes

Vu Les Idiots, le dernier film de Lars von Trier, avec Paul. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’aura pas attiré les foules : il sera resté seulement deux semaines à l’affiche (pour un film présenté à Cannes…). Mais ça s’explique assez bien. Cette histoire de jeunes gens qui jouent aux débiles sans qu’on sache vraiment quel est leur but est déroutante. Je peux comprendre que ça ait choqué, même si je pensais que ça irait beaucoup plus loin dans l’insupportable. Sans parler de cette caméra épaule qui a continuellement la bougeotte, de l’image vidéo souvent pisseuse (ce sont les règles de Dogme 95, le nouveau mouvement que Lars von Trier a crée avec des collègues danois qui doivent vouloir s’amuser). L’interrogation sur ce qu’est l’image me semble puissante, et elle est d’autant plus poussée par l’intrusion, de temps à autre, de l’équipe technique dans le champ — intrusion sans doute non calculée, mais conservée exprès au montage : ce qui rend difficile une identification avec les personnages sur le long terme (en ce sens, ça n’est pas sans rappeler certains aspects de Funny Games). À mon avis, c’est tout de même un peu raté, pas toujours convaincant, trop flou dans le propos ; quelque chose d’inabouti, mais sorti d’un cerveau en sacrée ébullition — donc intéressant. En revanche, farce de potache comme on l’a dit parfois, je ne crois pas : il suffit de voir la fin, aussi intense et dramatique que Breaking the waves, pour en être persuadé.