Ce matin longue conversation avec Marie-Charlotte sur la mauvaise évolution de Paul depuis qu’il est tombé sous la coupe du Petit-Fruit, sujet qui nous préoccupe. Nous le voyons changer, avoir des réactions (par exemple de défiance) qu’il n’aurait pas eu auparavant, bâtir des projets qui nous paraissent stupides, comme je l’ai dit, et risquent de lui gâcher la vie s’il les mène à bien. Le dernier en date : devenir chef vidéo d’une grosse entreprise agro-alimentaire à Dieppe — passer son temps à filmer des poulets roumains débités en cube dans des plats cuisinés. Et juger de haut l’emploi-jeunes qu’il aurait à la fac si simplement il en faisait la demande, parce que « ça ne fait pas assez bien » (au-delà d’assurer le quotidien, ça lui aurait permis de continuer à travailler au noir comme cadreur pour se faire des contacts, de travailler pour ses projets personnels s’il en a encore et pour l’asso. Peut-être avons-nous mésestimé son désir ou ses capacités d’aller vers la création. Enfin il y a des limites. Surtout, on sent trop comment la plupart de ces nouvelles idées lui sont soufflées par la demoiselle (ce qu’il nierait). J’espère que ça ne va pas marcher. Parce qu’une fois dans le rythme, ce sera peut-être difficile de changer. C’est dommage, parce qu’avec cette fille qui se met tout le monde à dos par ici, lui-même finira par être moins bien accueilli. Possible que nous exagérions, mais quand même, quelle connerie qu’il se soit mis avec elle.
Il me fait de moins en moins confiance, j’ai l’impression ; je ne sais pas s’il me parlerait très franchement si je l’y engageais. Il y a beaucoup de choses que j’apprends sur lui par les autres, à qui il les a dites ; pas à moi. Je sais que j’ai la réputation de trop parler — en partie justifiée[1] — mais ça me chagrine.
[1] Enfin ce que je rapporte, ça ne me semble pas si important. Sinon je ne le ferai pas. Il y a là dedans tout un jeu de dupe, entretenu surtout par Ermold le Noir, parce que ça lui donne l’impression (justifiée parfois ; justifiée auprès de lui au moins) d’avoir barre sur les gens. Il est lui-même le premier à distiller les ragots, pour créer une relation ambiguë : on est avec lui parce qu’on le sait, on devient contre lui si on les répand. Et en même temps, s’il les dit, c’est bien pour qu’on soit tenté de les répandre.