Chaque fois qu’on boit de l’eau, le sens de l’odorat se développe d’une façon extraordinaire dans les secondes qui suivent (et en général, révèle surtout des odeurs déplaisantes).
Bérengère a encore une fois été contre son gré messagère des mauvaises nouvelles, parfois très (c’est elle qui m’avait appris à la fin de l’été dernier la mort d’Annie Legrand). Le téléphone sonne, je décroche, et une petite voix, après une longue hésitation :
« Tu es au courant pour la petite de Sophie et Arnaud ? »
Moi, immédiatement, mon cœur s’est emballé, merde, qu’est-ce qu’elle va m’apprendre ? — je pressentais déjà le pire : parce que je n’étais pas au courant de quoi que ce soit. Elle ne m’expliquait pas ; elle croyait si ferme que j’étais au courant qu’elle a commencé à se confondre en excuses, comme quoi elle pensait que je savais déjà, que tout le monde était au courant, et elle voulait en parler pour savoir comment se comporter, etc. Je continuais d’être dans l’angoisse, jusqu’à ce que forcée par la situation (puisqu’elle avait pris son téléphone, il fallait bien maintenant qu’elle prenne la responsabilité de m’informer) elle me dise. Triste nouvelle en effet, mais je me suis senti respirer : j’avais tellement supposé le pire. La petite a une malformation, qui ne s’est vue à l’échographie qu’au cinquième mois : elle a une jambe dont le tibia est beaucoup trop petit. Bien sûr, c’est grave, et c’est un choc pour les parents que de l’apprendre (après tous les problèmes que Sophie aura déjà eu pendant sa grossesse). Mais enfin, ce n’est qu’un handicap physique, et des opérations seront sans doute possibles. Pour Arnaud et Sophie, ça a été très difficile, m’a-t-elle dit ; mais ils n’ont rien laissé paraître, alors qu’ils le savent depuis deux mois — à leur déménagement, puis pendant la soirée, comme lors de précédentes chez eux, rien n’aurait pu laisser deviner. Et c’est ça qui a tant bouleversé Bérengère au moment de me l’apprendre, en plus de la nouvelle en elle-même (elle qui est si sensible à ne pas commettre d’impairs) : elle était persuadée que je savais, qu’elle était la dernière à être au courant, alors que visiblement, avant elle, à part Claire, qui le lui a appris, et Adeline de qui elle-même le savait, il n’y avait personne. J’ai dû lui promettre de ne rien dire, pas même à Joris ; même si les amis servent bien à s’informer les uns les autres de ce qui arrive. Je vais m’efforcer de respecter ma parole. Arnaud et Sophie n’ont rien laissé transparaître. D’Arnaud, taciturne et secret, ça n’a rien d’étonnant, mais de la part de Sophie… Elle a toujours eu le sourire éclatant qu’on lui connaît lorsqu’elle va bien. De ce fait, pour le moment, je vais faire comme si de rien n’était.
Elle m’a ensuite poussé à parler d’autre chose, qu’on se donne des nouvelles, pour lui calmer l’esprit ; et à ma question sur Greg et elle, elle a répondu que tout allait bien, qu’elle ne s’était pas sentie aussi bien depuis longtemps. Elle l’a même appelé mon conjoint. Le terme m’a semblé bizarre, mais je n’ai pas senti la pirouette d’une formule. Tant mieux.