Vendredi 17 juillet 98, Nantes

Je ne tiens plus l’alcool, c’est bizarre ; hier soir, après deux bières, un apéritif, et la demie bouteille de Valpolicella que j’ai partagée avec Ermold lorsqu’il m’a invité au restaurant, j’étais cuit, et je me suis traîné aujourd’hui (à cette heure déjà avancée de la soirée où je vais partir à Méliniac, je suis encore bien à côté de mes pompes). En fait d’après-midi je suis passé chez lui pour voir comment faire pour le chat de Marie-Charlotte, que j’aurai finalement gardé, avec plus ou moins de bonheur, tout le mois[1]. J’en ai profité pour relever mon mail. Là deux messages de Pattani, qui dataient déjà de plus d’une semaine, m’enjoignant de confirmer ma candidature et de faxer mes diplômes. La sueur glacée de l’hésitation s’est répandue d’un coup. Mais la soirée avec Ermold m’a décidé à répondre positivement. Partir serait un gros changement (un an, mais on ne peut prévoir toutes les conséquences d’une aussi longue absence), impliquant de renoncer à ce qui fait mon existence ici. Mais il y a trop longtemps que j’en parle sans en avoir eu jamais le courage ; les occasions que j’en ai eu les deux années précédentes pas vraiment exploitées parce que je n’étais pas sûr. Le hasard me tend les bras, il faut se jeter à l’eau. J’ai exécuté ce qu’ils demandaient.

[1] J’ai à peu près tout eu, la pisse sur ma couette, les chaleurs (cause probable de l’incident précédent), le caca à côté de la caisse nettoyée deux jours avant en grand, puis baladé à travers l’appartement, une crise de vers, les poils blancs perdus par poignée sur le moindre endroit qu’elle touchait, les graines de mon awalé éparpillés un peu partout (et pas toutes encore retrouvées), le vomi, une cartouche d’encre noire éclatée sur le parquet, et le verre de ma belle lampe tulipe explosé en mille morceaux. Je ne craignais que pour le paravent peint par Stéphanie, dont le chat d’Ermold avait consciencieusement épluché une partie à l’automne dernier : il a en revanche été épargné. Si j’enlève ça, ce n’était pas un chat désagréable ; mais c’est tout pénible. J’en aurais bien un moi-même. Mais (question d’allergie mise à part) pas sans jardin ou appartement d’où les toits sont accessibles. Ce n’est pas une vie d’être enfermé entre quatre murs pour un animal.

Lorsqu’on a rapporté le pauvre animal à l’appartement de Marie-Charlotte, c’est une autre surprise qui nous attendait : son réfrigérateur avait été laissé éteint non vidé, et la porte fermée. Une puanteur indescriptible, à vomir, et des colonies de vers et autres scolopendres horribles s’étaient développés avec allégresse sur des merguez pourries. Ermold, très comique, parlant du nez parce qu’il ne respirait plus que par la bouche. Comme a dit Marie-Charlotte ensuite, soupirant, voilà une histoire qu’elle n’a pas fini d’entendre – mais il y a de quoi.