Soirée d’hier chez Jacques et Marie-Claude, mon oncle et ma tante du Croisic ; agréable (j’étais même surpris qu’elle le soit autant). Pas mal de monde venu de Paris pour le week-end ; leur fille Estelle avec son mec, mon autre cousine Coco. Je les ai vus avec plaisir. En revanche, j’ai bu (Jacques nous a proposé pour terminer une étude comparative du whisky et du bourbon) ; pas assez pour être malade, mais j’ai quand même dû vomir une fois revenu à la maison, justement pour ne pas l’être. Sans doute est-ce lié à la cigarette, j’ai encore beaucoup trop fumé, aussi. Ça augmente nettement les effets de l’alcool. Dans une soirée comme ça, il faudrait savoir ne pas commencer. C’est bien pour cette raison que je frôle la limite de l’alcoolisme (mondain) : devoir se limiter à tout ou rien est un mauvais signe.
Mais dans cette famille, il faut toujours que je lutte pour me sentir à mon aise. J’évite de parler de moi, c’est un signe, ça aussi. Et les rares fois où je l’ai fait, j’ai eu l’impression que ça n’intéressait pas follement, oreille distraite, pas de relance ; même quand j’ai évoqué mon possible départ l’an prochain. Je sais bien qu’ils sont tous assez voyageurs (c’est l’argent), notre cousin Erwan, le frère aîné d’Estelle, est par exemple en ce moment à Los Angeles. Tout de même, ça aurait dû enthousiasmer, non ? J’ai l’impression de ne pas maîtriser tous les codes, de manquer de légèreté : et ça a toujours été comme ça. Je suis sûr que d’avoir Jacques et Marie-Claude comme parents m’aurait fait moins coincé que je ne suis. En revanche, comme dit Joris, on aurait eu plus de risques de devenir ingénieur.
Soir. Quelques heures dans l’après-midi à Piriac avec Greg et Berry. Qu’ils soient à nouveau accordés m’enchante. Bérengère regarde le futur avec une confiance que j’admire. Moi qui tremble.
Relation par Guez de Balzac de la mort de Guillaume de Nassau en 1625, qui vaut d’abord pour la première formule que l’écrivain prête au prince, à la rhétorique magnifique et drôle :
« Une heure avant que ce prince rendît l’esprit, le théologien protestant qui prêchait d’ordinaire devant lui l’était venu visiter, accompagné de deux ou trois autres de la même confession. S’approchant de son lit avec une profonde révérence, il le conjura, au nom de toute leur Église, de vouloir rendre quelque témoignage de la religion qu’il professait et de faire une espèce de confession qui pût être recueillie de la compagnie. À cette demande le prince se mit un peu à sourire et lui répondit incontinent après : “Monsieur mon ami, j’ai bien du déplaisir de ne vous pouvoir donner le contentement que vous désirez. Je vous dirai seulement en peu de mots que je crois que deux et deux font quatre et quatre et quatre font huit. Monsieur Tel (montrant du doigt un mathématicien qui était là présent) vous pourra éclaircir des autres points de notre créance”. »
(Je ne vais pas me faire plus cultivé que je ne le suis ; je trouve à nouveau cette histoire chez Gusdorf, une mine de renseignements — des livres qui se lisent comme des romans. Ce n’est pas que le sujet n’en soit pas parfois ardu (en général, titre et épaisseur de l’ouvrage n’ont pas impressionné favorablement ceux qui m’ont vu avec) ; c’est qu’une fois commencé, on a la plus grande peine à s’en extraire. Je revis le XVIIe siècle de Samuel Pepys, d’une autre manière qu’avec son Journal, mais tout aussi captivante. Par ailleurs, on trouverait donc là l’origine de la profession de foi athéiste du Dom Juan de Molière.)