Vraiment pas la pêche. Je n’ai rien fait depuis mon lever, et même taper sur les touches du clavier est une victoire contre l’ennui. Je me sens merdique un maximum, comme ils diraient dans La Maman et la Putain. Je devrais pourtant être plein d’allant ; de longtemps converser hier avec Sylvain Chantal m’avait gonflé à bloc, il est tellement actif et déterminé. Mais il n’en reste rien ce matin. En plus, je n’arrête pas de faire des fautes de frappe (elles ne se voient plus maintenant[1]). Joris a peut-être raison de prétendre que je suis une personne négative. Tout ce travail pour rien ? C’est fou comme il est en position de force par rapport à moi depuis quelques temps, et comme tout a l’air de glisser sur lui. Ce n’était pourtant pas vraiment donné d’avance ; mais si on peut utiliser l’image d’un match, incongrue mais pas sans rapport avec le fond de ce que je ressens (et qu’il faut commencer par accepter avant de peut-être s’en débarrasser), je dirais que je me suis trop longtemps reposé sur la certitude que je m’en tirerais mieux que lui. Et puis j’ai gambergé sur les points décisifs. Ça remonte à plusieurs années. Si je voulais être le meilleur, c’est plutôt raté ; suffisamment raté pour que je ne puisse jamais le devenir. Au bout d’un moment, ça finit par être trop tard, la chance est passée. En rentrant de vacances, je me suis dit que c’était l’année ou jamais pour faire quelque chose, transformer radicalement ce que je suis, que l’an prochain j’aurai 28 ans, et qu’après il serait trop tard, je serais devenu un loser estampillé. Je me suis dit que j’étais sur le fil, entre les deux solutions et que ça allait se décider là. C’est une vision simpliste ; et il est bien possible que ce soit déjà trop tard. Quels que soient les efforts que je puisse faire, les racines de ce que je suis plongent déjà de façon trop profonde dans le passé.
Je ne suis pas en forme aussi parce que j’ai trop bu, et que j’avais déjà trop bu avant-hier soir avec Ermold ; ça me fait deux vernissages de suite, et il y en a encore un ce soir Chez Pichon, où il faut que j’aille, j’y ai donné rendez-vous à plusieurs personnes. Hier j’ai bu comme un trou d’abord pour la raison paradoxale que j’avais déjà trop bu la veille (j’étais hyper déshydraté, j’avais tout le temps soif), et ensuite parce que j’ai décidé d’essayer de me limiter en cigarettes : comme il faut toujours que j’ai quelque chose dans les mains ou dans la bouche, si ce n’est pas une clope, c’est un verre. J’envisage de tenter bientôt une semaine sans alcool. Ce n’est pas que je sois alcoolique ou en passe de le devenir (alcoolique mondain peut-être, mais ça concerne tellement de gens que ce n’est plus significatif), mais je voudrais voir comment ça fait, si je ne me sens pas mieux physiquement. Mardi soir, j’étais en forme, mais je ne me suis finalement pas senti très brillant. On a passé la soirée avec un type qui écrit les chroniques de cinéma dans PIL’, et j’ai raconté pas mal de conneries. C’est ça d’être à l’aise, je me lâche plus, et parfois ça dérape ; lorsque j’ai conduit sa voiture pour qu’il me ramène chez moi (j’ai eu un mal fou à la démarrer pour commencer), j’ai grillé le feu de la place Anatole France ; il me l’a reproché, et j’ai culpabilisé. Hier je me suis mieux tenu. Je suis allé à Trempolino pour le vernissage d’une expo de Marko et Fabien, les deux ex-Bad Wound, et toute la clique était là, les Mathieu(x), Loïc et Coline, deux membres de Second Smile… Des années que je n’avais plus mis les pieds dans cet endroit, et je m’en suis senti tout à fait étranger (de même que Joris). Ma nostalgie de La Musique ne passe pas par là — et avec le temps, elle devient de plus en plus abstraite. Les peintures de Marko m’ont bien plu, et j’en verrais bien une chez moi, il faudra que je passe à son atelier la semaine prochaine — également pour voir comment il est installé là-bas ; il m’a dit qu’il travaillait maintenant sur des grands formats, où il intègre écriture et griffonnage (un style peut-être déjà un peu rebattu, entre Cy Twombly et ses descendants — dont un peintre toulousain dont j’ai vu, avec Clément et Hélène, plusieurs grandes toiles au symposium de peinture contemporaine de Baie Saint-Paul, en Charlevoix. Mais que pour le plaisir pur, je continue à apprécier sans réserve). Là, c’étaient de petits tableaux sur bois (environ 30×50), en technique mixte : laque de bâtiment, huile, colle, dans l’esprit de ce que j’aimais dans la production de Stéphanie, relativement abstrait et expressionniste (c’est justement un de mes problèmes : depuis Stéphanie, je n’ai rien de nouveau) ; beaucoup de tons rouge, ocre, et de noir, des grattages et de l’arrachage. Comme c’est quelqu’un de plutôt impulsif (et, en ce sens là, libre), il en a peint quarante quinze jours au mois de mai. Et s’est arrêté lorsqu’il a eu l’impression d’en avoir fait le tour.
Appel de Sylvain, pour me proposer d’aller au palais de justice, où ce matin il a assisté, par curiosité, au début du procès d’une affaire de meurtre. Certainement un événement intéressant à voir une fois (pour vomir, éventuellement) ; mais j’ai trop de travail, et pas assez de moral pour affronter ça.
[1] Ça pourrait être intéressant de les laisser. Il faut utiliser les erreurs (et pourquoi pas plastiquement ?)