Ma journée du samedi. Gardé la galerie pour VidéOzone, où il faisait un froid de canard et où je n’ai eu presque personne. Lu un peu de Gusdorf, engoncé dans mon blouson, mon écharpe, mon caban et les gants ; regardé les vidéos (nettement moins bien que la programmation asiatique au FRAC ; mais à force de les voir, on en saisit quand même mieux l’intérêt — qu’une bande laisse froid la première fois, c’est fréquent ; il faut alors avoir la persévérance de regarder une seconde, mais on l’a rarement), bercé par l’obsédante musique fabriquée par Paul pour les moniteurs de présentations de l’expo : cinq secondes du premier album des Stooges ralenties et passées à l’envers. Antoine passe, il prend un peu racine, à force d’y venir tous les jours ; je lui offre du vin, il en reste pas mal de bouteilles de la soirée d’hier, dissimulés dans des placards du décor. Je fais ensuite de même avec Joris et Stéphanie, qui, eux regardent l’intégralité du programme. Puis au Flesselles dans le froid mordant. Je n’y trouve pas Marie-Charlotte, mais bois un verre avec un garçon que je connais un peu. Elle est au FRAC pour un vernissage : je l’y rejoins en tram. On attend Ermold une bonne heure, parti signer pour l’appartement qu’il achète ; elle me présente au chroniqueur vidéo des Inrocks, qui a passé la journée avec eux — un mec jeune (à peine vingt-cinq), l’air sympa : mais, évidemment, au début, son statut m’intimide, d’autant que je n’ai aucune position vis-à-vis de lui. Ensuite, re-Flesselles, où on boit en attendant Sorin, que le journaliste veut voir parce qu’il prépare un DEA sur la merde d’artiste (on fait ce qu’on peut). Je commence à être saoul, et à m’ennuyer ferme. Mais je me laisse traîner au Saint-Domingue, où je n’avais pas mis les pieds depuis un moment. C’est pouilleux et glacial, mais on y mange du poulet grillé, et j’avais très faim. Beaucoup de tunes claquées. Retour en ville, au Saguaro. Arrivent Greg et Cédric Maindron. Là Greg m’apprend que Bérengère vient de le plaquer… Merde. Évidemment, ça change du tout au tout la physionomie de la suite de la soirée. Il veut sortir, s’étourdir : comment ne pas l’accompagner ? Puisqu’on ne peut pas faire beaucoup plus qu’être là (je sais bien le genre de choses qu’on ressent, et comment personne ne peut vous aider). Donc au Shaka, avec aussi le fidèle Antoine, jusqu’à la fermeture — le bar devient de plus en plus merdique et violent. D’après Broerec c’est le lieu idéal pour « lever des filles » : mais celles qu’on y voit ne sont pas trop mon genre. À la fin ils ne veulent pas encore aller dormir, alors que tout le monde est ivre ; je leur propose chez moi pour finir, mais avant, Cédric, très énervé, nous pousse à faire une incursion au Marlowe, seul truc dans le centre encore ouvert après quatre heures à part les boîtes. Lieu infâme, snob et bourgeois. Déco américaine ; blondes en petits hauts moulants blancs, bronzées aux UV, mecs en chemise claire, bien coiffés. Une horreur ; tous qui s’agitent sur une atroce musique de danse. Il faut m’y pousser, ça me met très mal à l’aise. Pour se faire, Greg et Cédric jouent aux inspecteurs de police en action, qui viendraient en mission d’observation. Comme si on faisait une expérience ethnographique, pour le dire autrement. Terminé chez moi, à essayer, sans trop de succès de clarifier la situation de Greg jusqu’à 6h30 passées, chacun s’endormant sur son verre de rhum. Antoine dort chez moi (en général je n’aime pas trop ça, que quelqu’un dorme chez moi, je n’ai pas vraiment de place).
Pour Bérengère, c’est sa révolution intérieure qui s’achève. Peut-être a-t-elle trouvé un autre mec : elle est injoignable ; un catalyseur dans ce cas, sans doute. Greg veut croire que ce n’est pas pour un autre qu’elle l’a quitté, mais c’est peut-être pour atténuer sa douleur. En tout cas il ne faut pas qu’il tente de la faire revenir. Elles seront inutiles, l’abaisseront, et n’arrangeront rien. Il faut boire la coupe jusqu’au fond, c’est tout ; aussi dur que ce soit. Aussi impossible que ça puisse sembler à l’instant. Ce qui est bizarre, et ne doit pas l’aider, c’est qu’une fois qu’elle a été revenue au printemps, elle n’a cessé de dire combien c’était merveilleux. Elle parlait d’avenir, ce qu’elle ne faisait guère auparavant. Mais elle prétend s’être trompée elle-même, et peut-être qu’elle en rajoutait pour se convaincre. L’être humain est suffisamment complexe et retors pour que ce soit possible.