19:58, début des bombardements de l’OTAN, sur Pristina, capitale du Kosovo, ainsi que sur Belgrade. J’écris moi-même au moment où ça se passe, j’ai allumé la radio par hasard à cet instant. Non pourtant que ce soit fondamental ; pour moi, et parce qu’il y a maintes exactions commises à tous moments sur la planète, et surtout à quelques pas de moi. Je m’intéresse à cette région du monde depuis son éclatement il y a dix ans, mais c’est peut-être succomber à un spectaculaire de mauvais alois (finalement très humain ; on ne va pas faire le philosophe devant toutes nos « faiblesses »). A un genre d’ébriété collective. Bombardements commentés comme une retransmission sportive par les envoyés spéciaux enfermés dans leur hôtel ; une sorte de multiplexe de la « guerre », avec les mêmes tics de langage, la même nerveuse jubilation. Sauf que cette fois-ci, ça me semble un minimum justifié : en gros ce qu’on n’a pas fait en Bosnie lorsqu’il l’aurait fallu. User de la force est rarement bon, ça doit rester une solution de dernier recours ; mais Milosevic s’est trop longtemps joué du monde, continue trop de bafouer les règles les plus élémentaires pour mériter autre chose. Il n’aurait jamais dû être considéré comme un interlocuteur valable. Ça ne veut pas dire que je confonds les citoyens serbes avec lui et ne considère pas comme un malheur la mort éventuelle d’innocents dans ces bombardements ; ni prétende que les Kosovars soient des anges — non plus que l’étaient les Croates de Tudjman ou les extrémistes musulmans en Bosnie. Mais Milosevic en a trop gros derrière lui : c’est un dictateur à abattre, voilà tout[1] ; et on ne peut impunément le laisser bafouer les droits des gens — des autres peuples, mais aussi des Serbes qu’il maintient dans son étau. S’il n’avait pas commencé, en 1989, par revenir (et de façon clairement autoritaire) sur l’autonomie accordée au Kosovo par Tito en son temps, on n’en serait pas là.
Évidemment, la question de savoir si tout ça servira à quelque chose est ouverte, et il est toujours à craindre que non. Mais les hauts cris des opposants ne sont fondés en morale que sur une seule face (le fait que l’OTAN n’ait pas un mandat des Nations-Unies en bonne et due forme, et que l’attaque d’un « pays souverain » sans qu’il en ait agressé un autre soit un problème indéniable[2]) ; et si la Russie est réellement l’allié naturel de la Serbie, comme on a dit que l’avait été la France, elle doit l’être du peuple serbe, et non du psychopathe qui est pour le moment à sa tête de manière frauduleuse. Qu’elle veuille mettre le holà à l’hégémonie américaine (ce en quoi elle a raison) n’est pas ici un argument suffisant.
Et pendant ce temps, il a fait beau sur ma ville, j’ai gravé un album des Tindersticks pour Sonia, et celui de Stereolab qu’elle m’a prêté, j’ai travaillé quelques heures mollement, la fenêtre ouverte dans l’après-midi, et ai passé un peu de temps au téléphone avec des amis.
[1] Ces propos pourraient tout autant aller au cas de Saddam Hussein en Irak, alors que je partage l’opinion de ceux qui sont défavorables aux agissements américains là-bas, et les considèrent scandaleux. Je serais tenté de dire que les objectifs au Kosovo (comme ils auraient pu l’être en Bosnie il y a quelques années) sont plus nobles, qu’il ne s’agit pas simplement de défendre de bas objectifs de puissance, politique ou économique ; mais il serait étonnant que les États-Unis — qui restent derrière tout ça — agissent pour les beaux yeux de la princesse : pour les « droits de l’Homme » qu’ils sont les premiers à bafouer quand ça les arrange, jusque et surtout dans leur propre pays. Mon opinion perd de son enracinement en Raison… À moins que les puissances ne craignent surtout une déstabilisation durable de toute la région, préjudiciable à leurs intérêts, si on continue à laisser faire Milosevic.
[2] Mais je mets les guillemets, parce que c’est un paravent facile.