Dimanche 28 mars, dimanche de printemps

(Rien à dire sur ma journée d’hier, passée à lire une thèse soporifique, mais) soirée hyper in, dans les locaux d’Oxymore, l’association d’élèves en archi, sur les quais de la Loire juste à côté de la monumentale et insipide Fabrique à glace désaffectée ; il y avait au moins quinze branchés au mètre carré, les deux tiers de la vague intelligentsia underground et « jeune[1] » de la ville. Des concerts exigus (dont celui d’Ivan Newell, pour lequel j’allais au départ : à chier. De la merde). Puis du pousse-disques kitsch, de celui qui pâme pour le moment, dans une ambiance bondée, faiblement éclairée de lumière rouge sommairement produite par des feuilles de plastique collées autour des ampoules au plafond. Ça fricotait un peu dans les coins, mais pas autant que la musique sexy aurait pu y entraîner. Évidemment, le noir Ermold ne s’intéressait qu’à ça, lui dont la vie ressemble de plus, dirait-on, à la chronique de celle des autres — voie dangereuse sur laquelle je me suis moi-même trop engagé (mais n’est-ce pas après tout une manière comme une autre de vivre ?). Coline a fait une crise de jalousie parce que Loïc lui vantait une de leurs copines dont il a peut-être été amoureux dans le passé ; Jenny causait sexe en me hurlant à l’oreille : bref, rien de très nouveau sous les néons. Un assez bon moment, mais je n’étais pas dans l’état d’esprit pour en profiter pleinement ; et toujours trop en retrait, trop sur mon quant-à-soi.

C’est que je trouve ces ambiances un peu délétères. Ça tourne en rond ; dans la superficialité sans être bien convivial — même si on ne vient pas non plus seulement pour s’y montrer, comme dans les caricatures du plaisir branchouille. Je n’y sens pas de vraie joie ; guère d’élan. Ces gens sont aussi tristes que moi ; plus pour beaucoup d’entre eux. Ça me fait penser au cynisme avec lequel on se rend dans les vernissages : personne ne croit plus (si jamais ça a été le cas) à ce qui est montré, tout le monde s’en tape, ignore jusqu’à ce qui est présenté, qui n’en vaut d’ailleurs souvent pas la peine, en effet. On y vient pour se rincer à l’œil (et comme ça commence tôt, on est bourré avant que la soirée ne soit bien avancée), nouer des contacts pour organiser d’autres vernissages, ou pour y aller, simplement, choper un ou deux verres de rouge qui pique gratuit (toujours ça de pris). Et ce sont toujours les mêmes qui y traînent — pour partie ceux qui étaient là hier soir, mais chacun a aussi son domaine propre : la branchitude est très sectorisée. Ça sent le renfermé. Moi, pourtant, je suis encore de ceux qui voudraient y croire, tomber à la renverse, vivre des expériences, et pas seulement s’ennuyer ferme un verre de muscadet tiède à la main. Mais l’exposition n’est en fait là que pour justifier le vernissage qui la précède ou l’ouvre. Qu’il n’y ait ensuite personne à aller la voir n’a que peu d’importance, si le vernissage était réussi.

Je pars jouer un peu de musique avec le señor Chepe et Broerec, dans le studio de répette du groupe que ce dernier manage ; je ne sais pas trop ce que Chepe veut qu’on fasse (avec ce qu’il nous propose : de vieilles chansons ibériques, chantées notamment par Chavela Vargas), et il y a des années que je ne touche plus guère à ma pauvre basse. Elle risque de s’en venger tout à l’heure.

[1] De moins en moins. On pourra bientôt dire jeuniste.