Vendredi 28 mai 1999, Nantes. 2

Philippe : « Salut François, c’est Philippe… huit heures pile, je viens d’avoir ton message… un peu en retard, euh je ne sais si tu es déjà parti euh par tes propres moyens vers l’Olympic. Bon : j’y vais bien ce soir… si c’est le cas on se voit dans la salle, sinon, si tu veux profiter de ma voiture, pas de problème, euh je vais pas partir avant huit heures et demie, je pense euh… vu l’heure qu’il est, et donc, hésite pas à passer, ou euh… rappelle avant si tu es momentanément absent de chez toi… pour dire ce qu’on fait, et voilà. À plus tard en tout cas. »

Mathieux : « Eh, euh, France, salut, c’est Mathieux. Mais je voulais te dire que si tu dis ton nom, c’est pas la peine de répéter ton numéro, parce que en général quand on tombe sur un répondeur, on le connaît déjà… et autrement, si jamais c’est des gens qui pensaient… qui connaissaient le numéro mais qui pensaient tomber sur une autre personne, ils savent déjà quand tu dis “Vous êtes bien chez François”… mais enfin… Trêve de plaisanterie, je te téléphonais, là, euh, nous sommes vendredi, il est 21h, et c’est pour te dire que j’ai eu un coup de fil de Peggy, et j’ai rencart avec d’autres gens, dont Anna-Maud euh au Café du Change donc euh en fait, tu dois déjà être en ville… euh. Donc euh à plus tard. Salut ! »

Je crois que c’est la pleine lune ; elle électrise l’espace de ma fenêtre.

Ce soir, vu avec Philippe à l’Olympic deux groupes belges (flamands). Soulwax en première partie, groupe de soul-funk rock primaire et très puissant, dont tous les musiciens sont apparus sur scène en costard-cravate. Les morceaux étaient soutenus par une rythmique inventive et musclée, qui faisait penser au jeu de batterie de Xavier (c’est bien la seule chose qui pouvait les apparenter à feu-La Musique). Un vrai groupe de scène, taillé pour les stades s’il polit un peu les distorsions, et s’il ne lui arrive pas d’avanie d’ici là : c’est peut-être le problème. En tout cas une bonne prestation, enlevée et sympathique, qui a enflammé la salle, alors que peu de gens dans le public semblaient les connaître. Se méfier des groupes de scène : aujourd’hui, ce sont tout de même les disques qui priment ; il faudra écouter. Puis Deus, le fameux groupe d’Anvers (Antwerpen dans le texte), qui a visiblement beaucoup de fan, mais que pour ma part, je ne connais que très peu. Le mouvement du public nous a vite fait refluer dans la zone du bar à l’arrière de la salle (ce qui, vue la chaleur étouffante, n’était pas sans présenter quelques avantages[1] ; on a fini les vêtements collés au corps par la transpiration, et je suppose que ça aurait été pire si on avait été devant), je ne voyais donc le groupe que de loin ; et j’ai passé la majeure partie du temps les yeux fermés, perdu dans mes pensées régressives. C’était tout de même très bien, envoûtant, ai-je trouvé, alors que ce n’est sans doute pas le premier qualificatif qu’on accolerait à la musique du groupe ; les morceaux sont souvent longs, avec des structures complexes, une instrumentation riche, et donnent une certaine impression d’uniformité (quand sur disque, c’est plutôt la variété qui surprend, parfois à l’intérieur même d’un morceau) : ce n’est pas de la popinette, quoi. Par moments on pense au meilleur de REM, avec la voix du chanteur, et certaines de ses inflexions mélodiques les plus réussies. Une soirée très américaine donc ; quoique belge.

Puis longuement discuté au bar en sous-sol avec Sylvain ; de son roman (mes critiques lui ont laissé entendre que je n’avais pas trop aimé, mais je ne le lui ai pas dit franchement ; on ne se refait pas, et c’était inutile. J’ai préféré lui faire des critiques que j’ai espéré constructives, même si elles étaient plutôt acerbes), de ce que lui et moi écrivons. Il m’a à moitié mis sur un plan pour écrire des documentaires radiophoniques : je vais envoyer ma candidature, même si en ce moment, ce n’est pas vraiment le genre de choses qui me motive. Je suis de toute façon heureux qu’il ait pensé à moi, évidemment — et puis j’ai toujours tendance à commencer par rejeter tout changement dans ma petite vie : je suis casanier au possible, et dans un sens très étendu. Quasiment réactionnaire, d’une frilosité envers la nouveauté qui frise le pathologique : je tremble comme une feuille dès qu’il s’agit d’aller vers le moindre inconnu. Enfin cessons l’autoflagellation. Par ailleurs, bu comme un trou et fumé comme un sapeur.

Trop de jolies filles ce soir dans la salle ; dont la sœur de Stéphanie.

[1] Mais aussi des inconvénients : on avait droit aux conversations des piliers de comptoir : même dans les concerts, on en trouve.