Jeudi 27 avril 2000, Nantes

La journée a été glaciale de bout en bout.

Chamboulé par la soirée d’hier, je n’ai rien fait avant longtemps. Et ce n’est pas ce qui suit qui va me pousser. J’appelle Ermold tout à l’heure pour savoir comment la soirée s’est terminée pour lui, et il m’annonce vite qu’il a quelque chose de déplaisant à m’apprendre ; il a travaillé une heure entière Lorraine pour le savoir hier : Florence est avec un mec. Le guitariste qu’elle a rencontré le soir du concert de Katerine à l’Olympic.

D’après Lorraine, ils seraient sortis ensemble dès la fin de la soirée, dans les backstages. À ce moment-là, j’étais moi dans la plus complète naïveté de les voir discuter tous les deux avec tant d’abondance. Mais maintenant tout se met très bien en place : la rupture quelques jours après ; avant ça, la prétendue journée du lendemain passée avec un vieil ex, où je ne parvenais pas à la joindre ; la visite au studio d’enregistrement lors d’un de ses séjours à Paris ; et le dernier d’entre eux, de plus de cinq jours alors qu’elle n’y allait que pour un entretien. Tout se met très bien en place de ce que je n’ai rien vu jusqu’à cette minute présente. J’en rirais presque, de me trouver une nouvelle fois dans une des positions humaines les moins enviables… Il ne faut pas que je me voile la face. Rien ne sert de dire, comme Joris le soutient, qu’au-delà des faits, tout ne dépend que du regard qu’on porte sur son existence, que de la manière dont on construit ses objectifs. La situation est tout de même ce qu’elle est. Il a aussi raison, cela dit : à l’évidence, les miens sont mauvais. Il me faut en changer, pour ne plus avoir à m’épancher ici sur des échecs sentimentaux de midinette. Mais tourner à l’aigre comme Ermold ? Battre la campagne à mains nues ? Ah ! comme je voudrais encore me tromper ! que tous, Lorraine, Ermold, Joris, que tous ils se soient trompés ! Mais non, c’est moi ; moi qui ne l’avais pas vue pour ce qu’elle était, cette Florence Lemoine, séductrice, cœur d’artichaud, assoiffée de cette célébrité qu’elle dédaigne à longueur de phrases ; démoniaque…

Et dire que j’ai accepté de la voir ce soir… Il aurait mieux valu ne pas savoir : comment vais-je pouvoir maintenant la regarder, sentant ces mains sur elle, son haleine dans sa bouche ? Je comptais tout lui lâcher : je serais tombé d’un peu trop haut pour mes forces. Je dois quand même lui écrire un mot, mettre un terme, serait-il brutal, à mes errements (mais pas de la brutalité des faibles, pas de celle des trompés et des vaincus ! Non, il faut encore lutter, lutter plus que pour garder la tête hors de l’eau : encore faut-il que cette tête soit haute. Et même pas dédaigneuse). Mais puis-je encore dire que je l’aime ?

Le mot est écrit. Maintenant, quoi en faire ? J’y écris que je ne rampe pas devant elle : mais est-ce si vrai ? Peut-être vaudrait-il mieux faire comme si de rien n’était ?