Trois jours, globalement, de grande médiocrité, où je me suis beaucoup débattu, et souvent battu moi-même. J’ai d’ailleurs dormi tous les après-midi (ou cherché à dormir, le cœur battant à rompre) : ça ne trompe pas. Sans issue, qu’une lutte continuelle, souvent bien au-dessus de mes forces. Tout le reste s’estompe face à cela.
En soirée, j’ai accepté une invitation à dîner de Philippe et Manue, après avoir hésité, à cause de la finale de la coupe de France — mais la perspective d’aller voir le match debout place de la petite Hollande m’a finalement rebuté : on est fatigué, on ne voit rien ; et puis je savais que je ne serais pas dedans (Nantes a gagné 2-1 contre Calais, l’équipe amateur qui a fait fantasmer le pays entier). Mais je n’y étais pas vraiment non plus au dîner. Je ne pouvais m’arrêter de penser à Florence, et au fait que je devais aller voir La Passion de Jeanne d’Arc de Bresson chez elle à minuit. Comme je savais qu’elle était à voir le match à la petite Hollande, je pensais qu’elle ne serait peut-être pas chez elle, je pensais au message que je laisserais alors sur son répondeur, etc… Enfin le coup classique.
Mais elle était bien là. Seulement elle n’était pas seule : avec Yvan, avec qui elle convenue avant-hier[1] d’assister au match. Mon sang n’a fait qu’un tour, et la jalousie m’a submergé en moins de temps qu’il ne m’en a fallu pour leur dire bonsoir. Et elle était belle ! Elle était belle ! Le film n’était pas si bien que je l’aurais cru, mais de toute façon, pour être avec elle, je serais prêt à regarder Mon Curé chez les nudistes en boucle. Lorsqu’il a été terminé, Yvan et elle ont eu faim, ils sont descendus acheter des kebabs au coin de la rue. Les minutes passaient, j’avais l’intérieur en compote de penser qu’ils allaient peut-être sortir ensemble. Et lorsque Yvan et moi nous sommes quittés, il y a peu de temps place du Pilori (à trois heures et quart), j’ai hésité à le filer pour m’assurer qu’il n’allait pas retourner chez elle en douce. Mais s’ils veulent se voir, il y a bien d’autres occasions de le faire dont je ne saurai rien avant longtemps. A priori, je ne pense pas qu’il soit tenté (je l’ai observé pour essayer de déceler des signes —sachant, ceci dit, que je ne suis pas psychologue pour deux sous), mais je trouve très suspect qu’ils se mettent ainsi à se voir autant alors qu’il ne se connaissaient pas il y a quinze jours[2]. En un sens, j’aimerais mieux ça. Non que je pense, comme Ermold, qu’il vaut mieux que ses ex sortent avec des gens qu’on aime bien parce que ça vaut mieux qu’un inconnu qui a toutes les chances d’être un con ; mais ça voudrait bien dire qu’elle est incapable (pour le moment) de rester amoureuse d’un garçon (et ça me redonnerait des chances, dans mon esprit malade), ça me permettrait de penser encore que je suis celui qui seul l’aime vraiment (quelle connerie…), parce qu’elle ne resterait pas plus avec Yvan qu’avec les autres[3] ; j’en viendrais peut-être à penser qu’elle n’est qu’une traînée dans son genre. J’aimerais aimer les traînées, ce sont des filles intéressantes ; mais encore faudrait-il que je sache les fasciner. Or pour ce qui est de fasciner, je ne suis pas performant pour un sou (j’aurai toujours du mal à déborder de charisme, aussi mal que cela puisse me faire de le reconnaître et de ne pas savoir faire mieux).
Lorsqu’ils ont été dehors, j’ai tourné en rond dans l’appartement, hésitant même à partir comme je l’avais fait l’autre fois, tellement je me sentais mal à l’aise ; puis j’ai cherché des signes d’une liaison possible, des préservatifs dans la chambre (lorsque j’ai sonné, la chambre était fortement éclairée ; et elle a été éteinte avant que Florence n’ouvre la porte-fenêtre du salon pour voir qui attendait en bas. Ensuite, il a fallu que j’attende un temps anormalement long avant qu’elle ne me jette la clef). Je n’ai pu me retenir d’inspirer à plein poumon l’odeur délicieuse de sa chemise de nuit négligemment jetée sur le lit, puis j’ai regardé quelques photos d’elle dans des albums, à l’époque où elle était avec le-chanteur — j’ai fouillé, chose que je ne me permets pas d’habitude. Elle était déjà ravissante ; mais les années n’ont rien entamé de la pureté étrange de son visage, si puissante. Puis j’ai fumé au balcon, pour me donner une contenance. Je fume clope sur clope.
Ensuite, regardé Alice de Woody Allen — moi surtout pour voir comment se passerait le moment du départ. Mais le film m’a plu à nouveau (je l’avais vu au cinéma à sa sortie). Et dans l’état où je suis, j’y ai surtout cherché des éléments pour me guider. Pauvre vie d’insatisfait. Mais dieu que je l’aime !
[1] À la représentation de Tu, qui était repris.
[2] C’est bien ce qui s’est produit avec moi.
[3] Même si rester finira bien par lui arriver un jour. Et qu’Yvan bossant à Paris, il sera dans une meilleure configuration que moi pour la travailler dès qu’elle y sera (y songer me fait souffrir. Une occasion de plus. Ne pas savoir ce que font les autres m’a toujours perturbé. Alors lorsque c’est celle qu’on aime d’un amour aussi éperdu qu’impossible…).