Hier soir, rentré fatigué, et donc très déprimé. Une soirée solitaire de défaite, mais seule façon que j’ai pu envisager de ne pas m’étioler de manière insupportable. Diluer la souffrance dans une nouvelle perte de moi-même : elle était trop difficile à endurer (c’est bien en cela que je ne suis pas Jésus, ni un autre de ces héros de fantasme).
Cherché toute la soirée à avoir Ermold au téléphone, et j’ai fini par le joindre au moment même où il pensait m’appeler : une histoire de télépathie, a-t-il prétendu. La liaison était mauvaise, et comme il faisait couler de l’eau à grand fracas dans une baignoire pour que sa voix soit couverte, ça ne facilitait pas les choses : ce qu’il m’a raconté était hallucinant comme d’habitude (on verra peut-être plus tard). Soit ce garçon est totalement fou, soit il a le chic pour se mettre dans les situations les plus improbables : cette fois un film d’espionnage dans la meilleure tradition. J’écoute et je n’en pense rien.
Depuis longtemps ma vie a un pôle principal : Ermold le Noir ; depuis quatre mois s’en est ajouté un second, lié, l’impossible Florence Lemoine[1]. Une étrange relation, entre Ermold et moi. Un père, et Florence une mère ? Toujours est-il qu’il suffit qu’il ne soit pas là pour que ma capacité, déjà grande, à m’ennuyer soit décuplée.
Je lis la relation d’Anaïs Nin et d’Henry Miller comme une version réussie de ce que j’ai vécu avec Florence, c’est-à-dire où l’amour réussirait à demeurer partagé et constructeur malgré les difficultés. Il faut être honnête, ça n’a pas grand-chose à voir. Mais je me sens proche de Miller, jaloux, angoissé, timoré selon Anaïs Nin : bien différent de la façon dont il se décrit dans ses livres en tout cas. La différence est qu’il a toujours baisé beaucoup plus. Une différence qui ne me met pas en valeur.
Après-midi d’essai l’appareil photo Kirlian. Le maniement n’est pas bien difficile mais le résultat laisse à désirer : très aléatoire. Je n’ai pas réussi à prendre des clichés de mes doigts, ce qui était l’idée de départ. Également essais pour la retransmission du concert prochain de Loïc sur internet ; ça n’a pas l’air facile. En rentrant, aucun message de Florence évidemment. Elle me snobe – ses protestations d’amitié, comme toutes les autres, ne valaient pas tripette. Envie de rien faire. Écouté un peu des disques achetés ce matin (Tarwater, Grandaddy, deux Coltrane chez Impulse![2], et un vieil album de Earth Wind & Fire — groupe qui m’a pourtant fait bien rire de longues années[3]). Travaillé jusqu’à une heure, mollement.
[1] Mais la porte entre nous s’est refermée. Elle est repartie dans son monde. Monde issu d’un passé auquel je n’ai pas accès, et dont il était téméraire de penser la détourner un tant soit peu pour qu’elle aille vers moi. Qu’elle-même ait pu le croire dans les débuts de notre relation (au moment, bref, de l’amour partagé, lorsqu’elle me regardait avec ces yeux à faire fondre le cœur le plus dur, debout au centre de son appartement ; lorsqu’elle me faisait écouter cette chanson dont elle dit qu’il est partie intégrante d’elle), qu’elle-même ait pu le croire montre peut-être qu’elle le désirait ; mais surtout qu’elle ne se connaît pas si bien (et donc perdait toute chance de rompre avec lui), puisqu’elle y était tellement peu prête. Ce matin, je reconsidère son accusation froide : si nous avons échoué, c’est moins à cause de mon penchant mauvais pour la plainte qu’à cause de son masochisme. Elle cherchait sans cesse à éprouver les limites de mon amour et du sien : c’était pour se rassurer, disait-elle, mais aussi pour qu’elle se prouve que l’aimer était impossible. Il était donc inéluctable que ça casse. Elle finira par trouver le bonheur, dans les bras, hélas ! d’un autre. Enfin pauvre Florence, tout de même…
[2] Live at the Village Vanguard, de 1961, et Meditations, de 1965. Dans les deux son quartet « classique » est enrichi d’autres musiciens, Eric Dolphy, ou Pharoah Sanders et Rashid Ali.
[3] C’est en fait très bien ; je suis encore peu familiarisé avec les voix, qui me posent plus de problème. Mais la musique est magnifique, de richesse et d’efficacité — et que ce type de groupe ait été copié et samplé jusqu’à plus soif depuis dix ans m’a paru patent ; les rythmiques syncopées sont celles des Charlatans et de tous les groupes de baggy sound de 88-89, on trouve des mesures entières des chansons à peine modifiées chez des groupes de musique électronique comme les Ballistic Brothers et tant d’autres.