Un apéro chez Loïc et Coline dans la soirée. Avec Joris et Stéphanie, Philippe et Manue, Mathieux : la société habituelle, que j’apprécie beaucoup. Elle me repose d’Ermold, toujours plein de sous-entendus, et dont la fréquentation est finalement épuisante, et pas très constructive — cet après-midi, il m’a encore tenu la grappe une heure et demie au téléphone, et la conversation a de nouveau tourné autour des filles (enfin je l’ai surtout écouté parler). Et puis c’est toujours la même chose, il boit, se couche à des heures impossibles (encore hier : j’ai eu raison de ne pas les suivre), et ensuite se plaint d’être dans un état lamentable. Il se détruit sans bénéfice. À la fois s’en plaint et y trouve du plaisir, comme un drogué. Ce soir, les propos étaient aussi naturels que vifs et animés. Je retrouve plus ce que je suis vraiment avec cette compagnie ; il s’agit moins de traits de ma personnalité que je dois forcer (pour jouer les cyniques ou bâtir des plans sur la comète). C’est un peu le même milieu que celui dans lequel j’étais avec mes amis vernaculaires ; mais plus cultivé, plus proche de mes préoccupations actuelles — j’excepte bien entendu Clément du groupe précédent[1]. Je m’y sens à l’aise, sans forcer, même si j’ai aussi besoin du brillant et de la complexité infernale d’Ermold par moments. De temps en temps, il faut que je sois quelqu’un de mon époque, vivant. Je ne peux pas vivre tout le temps dans un univers de maladie mentale et de poivrots. Discuté de ce que ça représentait d’avoir trente ans, si vieillir nous faisait peur ou non, puis de la libération sexuelle. C’était bien.
Avant ça, je suis passé chez Florence. J’ai bien cru qu’elle allait me poser un lapin, mais non. Elle était au milieu de ses cartons, et nous avons regardé la remise des prix à Cannes (Palme d’Or pour Dancer in the dark de Lars von Trier). Je n’ai pas ressenti vraiment d’amour pour elle. Au moment de partir je lui ai offert ce que j’avais pour elle, la voix un peu étranglée. Et elle a été si émue que je lui offre un cadeau, et ce cadeau précisément, qu’elle s’est mise à pleurer. Nous nous sommes pris dans les bras quelques instants. Il n’y a plus d’amour entre nous, mais c’était un moment vrai ; et là, malgré tout ce que j’ai pu penser d’elle parfois (Ermold en a rajouté une couche tout à l’heure), je n’ai pu que ressentir le frémissement d’une pureté. C’est suffisamment rare pour que j’y attache le prix que cela méritait. J’étais un peu triste, et inondé de bonheur tout à la fois[2]. Nous nous sommes quittés au coin de la rue, et elle m’a suggéré de l’appeler au magasin dans la semaine (j’ai vu la tenue qu’elle y a porté la semaine dernière, un vêtement du magasin, petite robe en vichy rouge et blanc extraordinairement sexy. Elle doit être hyper désirable là-dedans[3]. J’espère qu’elle conservera cette étrange fraîcheur qui la caractérise, dans ce nouvel environnement).
[1] Il est entre les deux, et il s’intégrera à merveille dans ce groupe (je pense qu’Hélène aussi).
[2] Je l’aurais été plus encore si je n’avais été tenaillé par une mortelle envie de pisser. Pardon de la trivialité.
[3] Aujourd’hui, elle portait une vieille robe noire poussiéreuse, un gilet de grosse laine déformée, une écharpe rouge parce qu’elle avait froid, et les même baskets déglinguées, grisâtres (encore à cause de blessures aux pieds occasionnées par des chaussures trop ajustées) ; les cheveux en bataille, les traits tirés et sans maquillage, elle était tout de même jolie, quoique lourde, et comme juste ébauchée dans la glaise. Elle est un drôle de mélange, inextricable, de grâce totale et de brusquerie primitive et garçonne.