Vendredi 7 juillet 2000 (j’ai failli écrire : juin, tant j’ai peine à croire qu’on soit déjà si tard dans l’année)

Cet après-midi, j’ai dû passer à Rennes, pour chercher un bouquin que Branger m’avait réservé depuis un moment. Ça fait cher le livre ; mais j’en ai profité pour en acheter un autre, sur l’atechnie : j’ai déjà lu la thèse du mec, mais c’est mieux de citer un livre, et ça servira toujours que je l’aie (peu à peu, je complète ma collection — mais je suis très en retard, je n’ai même pas le dernier tome du Vouloir dire. J’achèterai tout ça plus tard). Joris, qui m’a filé les clefs de la caisse m’a appris que Stéphanie a trouvé un appart pas mal, à Cambrai même. Je n’en ai pas parlé, mais c’est là qu’elle a eu un poste, avec son CAPES d’anglais. La région n’est pas si pourrie, ajoute-t-il — on a tout un tas de clichés sur le Nord qui ne sont pas justifiés. Sans doute. De là à dire, comme il le fait, que je serais prêt à passer un an là-bas, il y a un pas — quoi que ça me ferait probablement du : bien[1]. Une fois rentré, j’ai beaucoup hésité à sortir, mais je me suis finalement laissé tenter. Comme hier soir, où je voulais rester, mais où j’ai finalement traîné Jenny, passée chez moi manger quelques crêpes, chez Broerec où, avec Radulphe et Bohémond, on a fumé des pétards de la mort — pour une fois, vraiment du shit qui faisait rire. Il y avait un truc au Lieu Unique pour célébrer la sortie du supplément de Libé sur Nantes (je n’ai pas osé aller parler à Forcari, qui était évidemment là : mais il a fini par venir me serrer la main). Ermold le Noir n’était pas là, puisqu’il est parti à Paris « prendre des nouvelles de Marie-Charlotte », va-t-on dire. Il aurait hurlé, crié au vendu — mais serait sans doute venu quand même. De toute façon, il faut se détacher de son influence délétère ; c’est ce que m’a dit Radulphe : qui a encore l’air de me prendre pour un des meilleurs d’entre nous. Je ne cesse de me faire tresser des couronnes — pas souvent, mais de manière régulière. C’est bien qu’il doit y avoir quelque chose de vrai dans l’avis de tous ces gens, tellement je suis peu brillant en public. Mais ça ne change rien pour les filles ; il n’y en a pas plus à tomber dans mon escarcelle — et puis, de toute façon, je ne suis pas prêt à n’importe quoi, je m’en rends bien compte : c’est comme ça. Pour le reste, rien n’est assuré non plus : ce n’est pas parce qu’on promet (et pour moi, il est déjà tard) qu’on parvient à quelque chose. Et ça n’empêche pas que ma timidité me fasse être l’objet de railleries à n’en plus finir, je ne compte plus les déclinaisons de Balogh autour de ballot — railleries gentilles, mais des railleries quand même, que j’essaie d’encaisser (elles ne m’atteignent pas tant que ça, d’autant plus que je sais l’esprit dans lequel elles sont faites : mais je préférerais ne pas être leur cible[2], que j’aimerais être le surhomme nietszchéen). Enfin, pour le reste, ça fait plutôt plaisir. À moi de faire mes preuves : et ça va commencer par arrêter de sortir pour me mettre au travail. Je sais bien que ça fait rire (toute la bande, Broerec en tête ; ils connaissent ma faiblesse).

En rentrant, trois messages de Sonia. Vue leur teneur, je suppose qu’elle n’a pas été reçue au concours d’instit. C’est malheureux. Mais ça me fait chier qu’elle appelle comme ça. Qu’est-ce qui lui a pris de recommencer à m’appeler, alors qu’elle ne l’avait plus fait depuis janvier ? Elle ne m’intéresse pas, et je n’ai même pas envie d’elle[3].

[1] Procédé typographique de Peter Eszterházy, qui me revient tout d’un coup. C’est parce que je suis un peu bourré ; c’est aussi pour ça que j’écris de façon aussi familière. Cela dit, pour artificielle qu’elle soit, j’aime bien cette manière de brusquer les choses, de mettre en valeur un simple mot en l’isolant du reste par ces « : » fatidiques (mais parce qu’il a du poids dans l’idée, c’est une manière de chercher à retranscrire l’accent de l’oral).

[2] À bien y réfléchir, il y en a peu d’épargnés : l’esprit, entre nous, est vache.

[3] Si j’étais plus cynique ! si je savais ! si j’avais moins peur…