Retour à Nantes, sans plaisir. Vendredi, et surtout samedi, j’ai complètement bloqué sur ma thèse — alors que les trois jours précédents, j’avais plutôt bien marché, même si mon retard s’est encore accru (il faut que je cesse de me fixer des objectifs. Aussi flous soient-ils, ça ne sert qu’à me foutre des crises d’angoisse). Peut-être que la solitude commençait à me peser, même si je n’en avais pas l’impression. Je pense plutôt que c’est parce que je ne parvenais pas à organiser mes idées ; j’étais avec mes pages de notes, à les tourner dans tous les sens sans savoir par quel bout les prendre. Je ne sais d’ailleurs toujours pas — je repousse le moment de m’y mettre. Preuve en tout cas que ce que j’avais rédigé pour cette partie au début du mois était bien de la merde, vu la difficulté que j’ai à le reprendre (en fait, je suis obligé de tout recommencer : il n’y a rien à garder de ce que j’avais fait. Ermold a eu beau me dire qu’il ne fallait pas revenir, qu’il fallait avancer, et que j’aurais bien le temps de tout revoir à la fin, il y a des limites, des choses que je ne peux vraiment pas me permettre de faire lire à qui que ce soit).
Samedi dans l’après-midi, à bout de désespoir j’ai fini par prendre la voiture pour aller voir Ermold. Il n’était pas là ; mais au moment où je m’apprêtais à repartir, sa voiture est arrivée, et j’ai tout de suite su que j’aurais tout de même préféré repartir sans le voir, qu’il ne m’apporterait rien de bon. Ce qui a été le cas. Je suis parti m’isoler aussi pour ne plus le voir, non plus que ma bande d’alcooliques du Flesselles, et j’ai bien senti qu’il n’y avait là rien pour nous rapprocher. Je ne sais pas ce qui revient à mon ennui de sa compagnie et au sentiment de la nécessité de m’isoler pour travailler (les deux sont liés). Il m’a tout de suite raconté la dernière cuite, la veille chez Jolicœur, avec ce mélange de gourmandise et de lassitude qui caractérise son caractère velléitaire, a enchaîné sur la start-up de Marie-Charlotte, deux sujets dont je n’ai rien à foutre (mais c’est fou comme on peut tout de même parler de ce dont on n’a rien à foutre, puisqu’hier j’ai raconté en long et en large toute cette histoire de Marie-Charlotte à Stéphanie — en me rendant parfaitement compte au moment même où je le faisais que ça ne m’intéressait pas, et que ça ne devait pas l’intéresser non plus. Assise à côté, Jenny faisait des commentaires, oiseux comme à son habitude). On a fini lui et moi sur VidéOzone, avec son classique chantage au suicide — « puisque c’est comme ça on arrête tout ». Il est incapable de comprendre que je vais être débordé par ma thèse. Mais c’est qu’il ne pense, d’abord, qu’à m’utiliser ; je ne suis pour lui que le bon second, la bonne oreille tendue à ses moindres problèmes, à ses moindres histoires. Et ça suffit. J’en ai assez d’être sous sa coupe. J’ai déjà suffisamment de mal à faire quelque chose de ma vie seul, je n’ai vraiment pas besoin qu’il y ait quelqu’un pour me retenir par une bride en plus, et m’entraîner sur des chemins où je ne veux pas aller. Je n’ai vraiment pas assez de force. J’échappe au voyage en Roumanie, qui a l’air enfin de s’organiser, pour la fin du mois d’août, avec Jolicœur, Radulphe et Broerec. Je ne peux pas y aller, mais franchement, ça ne m’ennuie pas un instant. Je vois très bien l’horreur médiocre que ça va être, et les discours à n’en plus finir… Il va falloir que de l’eau coule sous les ponts avant que je puisse retourner vers ces gens avec quelque chose de valable à leur opposer — c’est inquiétant de n’être (à peu près) bien que seul, comme je l’ai été ces derniers jours à Méliniac (et encore ça n’a pas été sans faiblesse). Je vais finir par me flinguer ou devenir alcoolique — et c’est cette dernière option la plus probable. Hier soir en rentrant, je me suis vite rendu compte que j’avais oublié mes cigarettes dans la voiture que je venais de rendre aux parents, et pour compenser cette absence de tabac, il a fallu que je boive, j’ai descendu trois ou quatre verres de whisky avant de me branler. Ce matin, réveil difficile et levé sans cesse différé jusqu’à près d’une heure, il a vraiment fallu que je me retienne de ne pas me remettre à boire. L’été est pour moi chose atroce. Enfin pas plus que les autres saisons. C’est ma vie entière qui l’est, je n’ai pas la force d’en faire quoi que ce soit, et je sais trop bien, malgré le docteur Moreau, malgré mes belles déclarations, que rien ne changera et que ce sera une vie de merde, minable, insatisfaite jusqu’à son terme.