Lundi 23 octobre 2000, Nantes

Au concert de Jonathan Richman et Giant Sand avec Philippe. L’Olympic pas bondé pour une fois. Une drôle de salade américaine. Dans Giant Sand, la musique est très ancrée dans l’imaginaire américain blues et hillbilly revu par le rock contemporain ; mais déjà, on ne se la joue pas trop ; Howie Gelb, le chanteur, un gars qui a de la bouteille, commence tout seul au piano avant que les lumières de la salle ne soient éteintes, à tel point que tout le monde pense au début que c’est un roadie qui effectue un réglage de dernière minute (en plus, le type porte une casquette de base-ball) ; puis il passe du piano à la guitare et vice-versa sans trop se soucier de savoir si ça ne va pas faire un trou dans le morceau ; de temps en temps, les deux choristes jouent aussi de la guitare et de la basse ; il propose au joueur de pedal steel de chanter une de ses chansons personnelles — et lorsque celui-ci l’a informé de laquelle il allait jouer, il acquiesce qu’il a raison, que celle-ci est très bien, puis tout le monde s’y met, etc. L’ambiance est donc assez familiale, détendue, on prend le temps de jouer, de faire de longues intros au piano qui louchent un peu vers le jazz de Thelonius Monk, on déstructure les morceaux, qui finissent par ressembler à des dentelles de chansons faites entre vieilles connaissances. Et surtout, il s’agit d’une vraie famille : Joey Burns et John Convertino sont à la rythmique (ils jouaient dans Giant Sand bien avant de former Calexico), les deux choristes sont les chanteuses d’un groupe de Rennes, Candy Prunes, et — on le découvre à la fin lorsque Howie Gelb le présente — le type dans le coin qui joue de la guitare, c’est John Parish : le John Parish « mentor » de PJ Harvey. Giant Sand est un groupe underground, mais de la crème de l’underground.

Mais tout ça n’est rien à côté de Jonathan Richman, qui, lui, est un phénomène rare, tout à fait à la hauteur de sa réputation d’original. Déjà, première fois que je vois ça à l’Olympic, il ne joue pas sur la sono de la salle (la console est donc au chômage), mais avec deux enceintes modestes qu’il a apportées, et qu’il se charge lui-même d’allumer et d’éteindre, ou de régler, de préférence au beau milieu d’un morceau : comme lorsqu’il s’arrête pour boire un coup d’eau — mais comme les morceaux sont la plupart du temps enchaînés, il faut bien trouver un autre moment pour s’arrêter. Et puis ce n’est pas trop grave, vu qu’ils ne sont que deux : lui à la guitare à cordes nylon, branchée directement sur la sono, et un moustachu qui approche comme lui de la cinquantaine, et joue debout d’une batterie minimale — donc pas trop difficile de se suivre. Il vaut mieux d’ailleurs, puisque Jonathan Richman s’arrête sans cesse, pour faire des commentaires, régler le son, donc, esquisser un petit pas de danse disco, etc. Le tout avec un visage d’une tristesse à pleurer — mi-clown blanc, mi-clochard céleste. Mais un jeu de guitare impressionnant de liberté, foutraque et maîtrisé, et une voix pure, dont il joue avec d’autant plus de précision qu’il se permet un peu n’importe quoi (Dominique A était dans la salle, et je comprends assez ce qu’il a pu tirer de son écoute — le public était d’ailleurs en majorité constitué de fans très convaincus, d’une moyenne d’âge bien plus élevée que la majorité des concerts à l’Olympic[1]. Le tout au service de chansons terriblement rock’n’roll, malgré leur minimalisme dépouillé et le fait qu’elles ne soient de temps en temps que par bribes : depuis Jon Spencer, je n’avais pas vu un concert aussi rock’n’roll ; et rarement une prestation aussi pleine de joie contagieuse.

[1] Même Loïc Francheteau est venu : la première fois qu’il mettait les pieds dans la salle depuis cinq ans qu’elle est rouverte.