Lundi 20

Après ma journée de cours, rentré sous la pluie, jusqu’à la fac où je devais prendre des photos d’écran du concert de Loïc au Flesselles et de l’installation de Sam pour le dossier de vidéO3. Je les ai prises, mais la suite s’est mal annoncée quand Ermold est arrivé dans le bureau, et a prétendu que je n’arriverais à rien, que sans pied, ni sans un appareil sur lequel on peut régler avec précision la vitesse d’obturation, ça ne donnerait aucun résultat. Bon : on verra bien, et j’aurai fait ce que j’ai pu. Il n’avait qu’à me donner ces conseils avant. Suite à ça, déboule un type, dont j’ai compris que c’était celui qui nous avait contacté pour un projet pharaonique fumeux fin janvier. Il ne s’est adressé qu’à Ermold, je suis resté en retrait — pas vraiment convaincu ; mais je ne m’en suis pas moins avancé un peu. Ermold a vu à Heure Exquise! une installation des Corsino qui serait parfaite et je l’ai dit : mais il ne faut pas qu’on s’avance auprès d’eux si tout ça capote. Je n’ai pas compris que l’allégation par Ermold d’une semaine trop chargée pour écrire cette lettre signifiait plus de la prudence qu’un réel manque de temps (patenté cela dit) : manque de pertinence de ma part. Parti furieux ramener la voiture au Pont, d’autant plus que ça a été après avoir convenu d’un rendez-vous au Flesselles pour discuter entre nous de tout ça. J’ai mis Sebadoh à fond sur l’autoradio, la seule cassette propre à accompagner mon état d’esprit que j’ai trouvé dans la boîte à gant, et suis rentré à fond de train. Appréhension aussi d’une explication à propos de ce qu’Ermold m’a reproché samedi au sujet de la Grande Bergère, évidemment.

Manque de pot au Flesselles, Marc Ausone et un vieux copain d’Ermold et lui — qui par chance, connaît bien le type du projet, contre qui il nous a mis en garde. En tout cas pas parlé de vidéOzone. Picolé ; comme d’habitude en sautant d’un sujet à l’autre. Ermold et Marc Ausone ont vanté In The Mood For Love comme un des plus beaux films qu’ils avaient vu depuis longtemps — un « pur chef d’œuvre », démontrable « par A + B » pour Ermold, une maîtrise cinématographique du temps égale à celle de Proust en littérature (c’est moi qui le lui ai soufflé), l’essence du cinéma ; le meilleur film vu depuis Goodbye South, Goodbye de Hou Hsiao-hsien pour Ausone. J’aurais dû être devant mon bureau à faire une page de ma thèse, mais la soirée n’en a pas pour autant été perdue.

Dans sa voiture en me ramenant, Ermold a enfin abordé le sujet. Il ne m’a plus taxé de traîtrise que pour la forme, mais s’est déclaré déçu du manque de confiance qu’il pouvait avoir en moi. Je me suis défendu sans dissimuler mon erreur, ni cette impression que j’ai eu tout le weekend d’avoir largement payé en culpabilisant (une fois la faute commise, ce n’est pas le sentiment de culpabilité qui l’absout ; mais je continue de penser que c’était bénin, et plus ou moins inéluctable). J’étais vraiment parti avec l’idée que quelque chose s’était brisé entre nous — les habituelles histoires de vieux couple. Mais il m’a raconté ensuite en détail, sur presque une heure assis dans la voiture place Saint-Pierre le détail de son séjour avorté à Bruxelles, n’en dissimulant aucun détail (ce qu’il n’avait encore raconté à personne, a-t-il assuré) — ça permet de comprendre sous un autre angle qu’il ait adoré In The Mood For Love. Et, symbolisme du symbolisme — puisque lui et moi sommes tombés dedans en ce moment — je me suis racheté, pour clore le tout, lorsqu’il a voulu partir et que sa voiture n’a pas démarré : je l’ai aidé en la poussant dans la rue en pente en face pour qu’il prenne de la vitesse et redémarre. Sans aller jusqu’à lui faire un signe de la main lorsqu’il s’est éloigné pétaradant, mais je n’en ai pas été loin. C’était beau comme dans un film sur l’amitié virile mais sentimentale.

Aucun appel de Florence Lemoine depuis plus d’une semaine. Notre dernière conversation — qui m’avait pas mal énervé — l’a peut-être refroidie. Ça me fait chier autant que je m’en fous. On ne peut plus se satisfaire d’avoir continuellement des rapports d’adolescents de treize ans.