Mardi 28 novembre

Rendez-vous ce matin avec un employé de mon agence du Crédit Agricole pour discuter d’épargne, qui m’a mené dans son bureau exigu. Un type vulgaire, approchant la trentaine et déjà un peu empâté — ce à quoi ressembleront certains de mes étudiants dans quelques années : pas ceux que je préfère. Assez vite, il a commencé à me tutoyer, considérant que notre âge le lui permettait ; il s’est avancé prudemment, avec des formules tangentes, avant de se lancer, très direct : comme un banquier. J’ai tout de suite eu la puce à l’oreille, mais n’ai pas du tout su comment redresser la barre. Il faut dire qu’avec ma coiffure de John Lydon période P.I.L., je n’inspire sans doute pas vraiment la distance. Tout autre chose si j’avais porté cravate et bien haut l’air d’un homme rangé ! J’ai donc dû subir son tutoiement, ce qui était d’autant plus désagréable que, depuis l’autre bout du bureau, à griffonner sur une feuille les avantages divers et variés de ce qu’il me proposait (de façon qui plus est assez directive), il avait un ascendant sur moi. Revanche involontaire de l’étudiant sur le prof, n’ai-je pu m’empêcher de penser. Au bout d’un certain temps, j’ai réussi à lui rendre la pareille, non sans mal, vu que ça n’avait aucun sens pour moi. C’est à peine s’il ne m’a pas claqué dans le dos lorsque je l’ai quitté. Il y a encore peu d’années, j’en aurais terriblement souffert ; cette fois, ça m’a plus amusé qu’autre chose. Mais que peut être détestable cette pseudo-familiarité… L’excès de politesse n’était pas meilleur : mais cette inversion n’est pas une amélioration. Pure facticité, qui ne prend que l’apparence du rapport franc : autrement rien de neuf par rapport à la vulgarité du boutiquier de Flaubert, Baudelaire ou Léon Bloy. Rien ne s’est modifié dans la disparité d’intérêt des gens entre eux.

Élections présidentielles en Roumanie ce weekend. C’est vraiment un pays qui est bien parti : les deux candidats arrivés en tête sont Ion Illescu, l’ancien président crypto-stalinien auto-proclamé après la chute de Ceaucescu, et un certain Corneliu Vadim Tudor : joli nom, mais de qui est à la tête un parti d’extrême-droite et promet de diriger le pays « à la mitraillette ». Tout un programme. D’autant plus que c’est un ancien chantre du régime Ceaucescu (qu’il a fait partie de la Securitate comme son adversaire), et qu’il est par ailleurs poète : son dernier recueil est un hymne au Danube de la Pensée.