Jeudi 23 mars 2000, Nantes

Réveillé à huit heures et demie pour emmener Anna à l’école ; je l’ai proposé à Florence dès que le réveil a sonné à huit heures (elle avait l’air tout aussi malade que ces jours derniers, et j’ai sans doute eu la sollicitude du quitté), mais comme je me suis illico rendormi pendant qu’elle la préparait, je l’ai regretté — j’ai pourtant dormi quasiment neuf heures[1]. Ensuite, travaillé, sans grande efficacité ; ce que j’ai écrit sur l’universalité n’est pas meilleur que le reste du chapitre, et faire deux pages sur Leroi-Gourhan en plein milieu tombe comme des cheveux sur la soupe (je vais néanmoins les garder, je suis têtu). Il y a un gros déficit d’analyse, trop de citations de Gagnepain, Branger, ou Bruneau et Balut en lieu et place de démonstration – l’inverse de l’esprit de l’anthropologie clinique. Mais c’est comme ça. Et parce que j’en ai ras-le-cul. Tiré les pages revues de ce chapitre pour les porter à corriger à Papa : 58 pages déjà, et je suis encore loin de voir le bout[2].

Au Pont pour prendre la voiture, puis à Rennes ; roulé à 140 sous une pluie battante. Dernière conférence de Gagnepain pour cette année, et il a encore répété (quoique sous une forme un peu différente à nouveau) ce qu’il assène depuis maintenant un bon lustre, très en verve. Mais mise à part une sorte de consolation d’ordre philosophique et quasi-mystique des médiocrités de l’existence, je n’en tire rien ; je n’ai sans doute pas le feu qui l’anime. Je ne l’ai jamais eu. Parlé à peine à Branger, mais au moins, le contact n’est pas rompu. En tout cas, il ne faut vraiment pas tarder à lui envoyer quelque chose.

À 20h30, Jenny vient pour appeler le type qui fabrique des Kirlian cameras dans l’Indiana : un sacré service qu’elle me rend, je ne me verrais pas appeler un Américain. Malheureusement, il n’était pas là, il faudra donc recommencer. Puis au Flesselles rejoindre Broerec, Ermold, Radulphe, Joris et Stéphanie, où on a déconné sur le sexe, et en face, sans les deux derniers cités, mais rejoints par Matt, avec une soirée braillarde et solidement avinée jusqu’à la fermeture. Ma première soirée de célibataire depuis deux mois, en quelque sorte — mais c’est juste reprendre les habitudes à peine perdues, une sorte d’atavisme maintenant. Ermold m’a fait quelques allusions à des propos tenus sur Florence ces derniers temps par certaines de ses « copines »[3], mais il a gardé le reste pour lui ; « je te raconterai dans quelques mois, quand je serai sûr que ce sera vraiment terminé » — refrain du ragoteur qui ménage ses effets.

Une fois chez moi, pas mal bourré, et les poumons défoncés par la clope, encore passé du temps à chercher des sites de cul sur internet, d’après un mot-clef suggéré par Radulphe comme « sympa » ; mais tout était payant, et je ne comprends pas bien la manière dont les sites sont connectés entre eux, une fois cliqué sur un lien, ce sont des pages et des pages qui s’affichent sans qu’on n’ait rien demandé, qui ne correspondent pas du tout au lien annoncé. Couché comme une pierre dans mon lit solitaire.

[1] Avec de nombreux rêves, un sommeil entrecoupé (qui a au moins l’avantage de faire profiter des rendormissements). Vers cinq heures et demie, elle et moi nous sommes levés pour boire, la rue était plongée dans le silence le plus total, et je ne me sentais plus fatigué ; je serais presque rentré chez moi travailler. Peu après, rêve que je faisais l’amour dans une maison familiale avec une de mes cousines (elle avait plutôt la tête de la sœur de Fred, mais je crois que son frère était plutôt mon cousin Erwan) ; enfin plutôt que j’essayais : j’étais couché sur le dos, elle dessus, et je n’arrivais pas. C’était horrible, et très long. Ensuite, je me retrouvais à en parler, tout en arpentant la pièce, avec le docteur Moreau, à récriminer comme quoi rien ne me faisait progresser. Mais ce n’était pas vraiment son bureau. Les fenêtres et la couleur du ciel qui pénétrait par elles dans la pièce, bleue sombre, et chargée de blanc en même temps, m’évoquait irrésistiblement le bureau de Papa dans la seconde maison de Javerlhac, cette pièce un peu séparée du reste de la maison, et qui donnait sur la cour arborée derrière la maison (l’idée m’en est venue, mais je ne peux pas dire s’il s’agissait vraiment de cette pièce, dont je n’ai pas de réel souvenir).

[2] Mais même en Times 12, ça ne fait pas des pages très remplies ; en Pléiade, ça ne dépasserait sans doute pas les quinze ou vingt.

[3] Je crois plutôt qu’elles se détestent mutuellement.