Mercredi 31 mai 2000, Nantes

Journée fatigante. Il est dix-huit heures et je n’ai pas ouvert les fichiers de ma thèse (lundi, je n’en ai déjà pas fait lourd, juste le temps de voir avec horreur que les vingt pages bâclées — et avec quelles suées — pour terminer mon chapitre sont nulles : aucune pensée cohérente, pas de profondeur d’analyse, des passages entiers qui se répètent sans logique). Couru tout l’après-midi pour VidéOzone, avec la certitude que j’allais m’évanouir si je m’arrêtais pour respirer, reçu une engueulade par Ermold parce que j’avais mal négocié avec Sam les conditions de la diffusion de ses bandes (je ne suis pas bon négociateur, certes, mais c’est aussi que je ne voyais pas le problème. C’est tout de même insupportable de bosser avec ce mec : j’ai failli lui raccrocher au nez). Passé chez Florence enfin, avec le prétexte de lui prêter le numéro des Inrocks sur Cannes : surtout pour la voir encore, et son appartement se vider. C’est la dernière fois que j’y aurai mis les pieds, et ça me fait un drôle d’effet.

Soir à l’Olympic avec Philippe et Manue, voir Herman Düne et le chanteur américain Jude. En chemin vers chez eux, rencontré Florence encore une fois, qui se rendait chez Melpomène avec « [s]on amie d’Amsterdam ». J’étais si crevé que j’ai été transparent la minute qu’a durée la conversation. Des concerts intéressants, gâchés par l’affluence : les places étaient à 20 F, même gratuites lorsqu’on a la carte Olympic (c’est évidemment mon cas), et la salle bourrée à craquer — quand on peut être sûr qu’il n’y aurait pas eu trois cents personnes si les places avaient été au tarif normal, vu la notoriété des gens sur la scène. Cela a d’ailleurs conduit à un phénomène hallucinant. Le public, déjà, était surchauffé pendant la soirée, mais il a rappelé trois fois Jude, avec de délirantes salves d’applaudissements : une chose qui réussit rarement. Pour une pop rock qui, quoique de qualité, bien composée, n’est franchement pas transcendante, ça n’en valait pas bien la peine (les meilleurs moments, rares, sont du niveau des premiers Lloyd Cole, ce qui est très bien). Évidemment, le chanteur était aux anges. Mais l’excitation du public faisait que ça aurait pu arriver, je crois, avec n’importe qui d’autre, même s’il a bien accroché les gens avec ses impressionnantes performances vocales. J’ai préféré Herman Düne, deux frères guitaristes-chanteurs et un batteur minimaliste, qui, quoique suédois et vivant à Paris, ne s’expriment que dans un américain à couper au couteau ; leur album est bien, et la scène ne le dessert pas, où la musique se fait encore plus rugueuse — sorte de blues folk à l’os aux harmonies bizarres (tant dans les voix qui déraillent que dans le jeu des guitares, qui égrènent les notes de façon parfois comme aléatoires), agrémenté de guitares préparées de temps en temps ; ça donne une idée de ce à quoi doit ressembler un concert de Will Oldham (dont  je doute qu’on ait jamais la chance de le voir ici un jour). On pourrait penser que c’est difficile d’accès ; mais je me suis fait la réflexion en écoutant Jude : pour moi, c’est plutôt son style à lui qui est difficile d’accès (raison pour laquelle j’ai vite tendance à dire que c’est chiant). Il faut une réelle concentration pour entrer dans certaines longues phrases mélodiques de la pop, à l’aspect parfois lénifiant à première écoute. Lorsqu’on y réussit, ça devient intéressant.