Jeudi 29 juin 2000, Nantes

Je reviens du vernissage d’Actif-Réactif à LU, et je confesse avoir passé une bonne soirée. Rue Mathelin Rodier (celle qui remonte du château vers la cathédrale), j’ai vu un charmant petit rat courir sur les pavés. Normalement, je suis un ennemi du Lieu Unique, mais il faut dire que c’était bien — d’abord parce qu’il y avait beaucoup de monde, et que je n’ai cessé de parler à des amis que je croisais tous les trois pas (ça a un côté superficiel, évidemment, on se croise, on s’embrasse avec de grands « Ça va ?! C’est cool ! », et puis on est déjà parti ailleurs : le monde de Glamorama ; en français provincial, mais ça ne fait pas grande différence. Malheureusement, c’est plus avec les filles que je suis comme ça ; j’ai fait le coup à Daphné, la copine de Marie-Charlotte, à Emma Peel, à Yamina, la copine de Melpomène qui chantait autrefois dans Between quand elle-même y était claviste — mais à ma décharge, je ne la connais quasiment pas : on a simplement « été présentés », comme on dit[1] (nous nous étions aussi rencontrés dans la foule du festival de Reading il y a neuf ans, et nous avions échangé avant que les mouvements du public nous perdent, mais je ne lui ai pas rappelé cet épisode – dont elle n’a peut-être aucun souvenir) ; je sais bien qu’il faudrait savoir être plus entreprenant, mais je suis timide, ce n’est pas ma nature. Ces endroits sont l’idéal pour un peu de touche-touche quand on a les mouvements déliés, mais je ne crois pas que ce soit là que je puisse faire des rencontres — il faudrait savoir être plus push, selon l’expression consacrée dans mon petit milieu). Discuté, de manière correcte en revanche, avec Marko, Fabien, Olivier Texier, Karim (de foot), Dan et Mélanie, Marion Lachaise, Sylvain (qui part lundi vivre à Buenos Aires), Melpomène, Christine, Stéphane, les gens de Kinex’, et Radulphe (avec qui je suis venu). C’est déjà pas mal, et il est possible que j’en oublie. J’ai bu de manière raisonnable ; plus qu’hier, où après le vernissage de l’expo de Marion, je suis allé voir le match avec Radulphe, Broerec et Waldebert dans un rade sordide à côté de la galerie : ensuite, on a descendu comme des ânes des rhums arrangés à l’Atomixeur pour fêter la victoire (2-1 sur un penalty pas loin de la fin des prolongations, marqué par Zidane. Les Portugais avaient largement dominé la première période, mais sur l’ensemble, les Français méritaient de gagner[2] ; les adversaires n’étaient pas de cet avis, et lorsque le penalty a été sifflé, puis marqué, ils ont tellement protesté qu’ils auraient bien sorti des couteaux contre l’arbitre s’ils en avaient eu, et que le dit arbitre a prononcé trois expulsions coup sur coup[3]). Aujourd’hui, j’en étais d’ailleurs dans le pâté total, j’ai même dû faire une grosse sieste en fin d’après-midi. C’est aussi à cause de la fatigue des trois jours de montage de l’expo, fatigue physique, mais surtout nerveuse, puisque ça ne s’est pas toujours bien passé. Au final, je crois que l’exposition est bien, et Marion a l’air contente, mais presque jusqu’au bout, ça n’a pas été gagné — d’abord parce qu’on a dû se résoudre à ne pas présenter la seconde installation, à cause de problèmes cons sur lesquels je n’ai pas envie de revenir maintenant, mais qui m’ont bien bouffé la vie. Comme Ermold était en jury à la fac les trois jours, c’était moi l’interlocuteur VidéOzone, et comme je ne suis pas forcément bien compétent, et que de toute façon, je n’avais pas du tout pris part à la préparation de l’expo, il y a eu des situations difficiles à gérer. J’ai essayé d’assumer nos erreurs, de ne pas occulter nos manquements (des questions d’organisation, et le fait qu’on a peut-être pris le projet un peu à la légère — pour moi en partie à cause de la fatigue liée à notre fin de saison super chargée) ; j’en ai parfois pris plein la gueule, et tenir, faire à peu près bonne figure n’a pas été facile, surtout que je suis très mal à l’aise dès qu’on est dans une situation de conflit. En tout cas, j’ai appris à grande vitesse. C’est d’ailleurs mon problème, d’en être toujours à apprendre : je ne suis encore qu’un gamin, et ça me fait chier de m’en rendre compte — parce que naturellement, je réagis comme ça, je mets les choses sur le compte de mon inexpérience. Mais de toute façon, c’est vraiment difficile de travailler avec d’autres, et avec Jolicœur en particulier : il est sympa, mais il se disperse, et, au final, manque de sérieux ; par exemple, il a pris une grosse cuite mardi soir au pique-nique du FRAC (pendant que nous étions à la Maison de la Culture pour notre programmation conjointe avec Kinexperience[4]), et il est arrivé au rendez-vous du lendemain avec une bonne heure et demie de retard ; hier soir il était également cuit comme une vache après le vernissage.

Je suis censé être un ennemi du Lieu Unique (et l’expo ne m’a pas intéressé — je n’en ai pas vu beaucoup, mais ce que j’ai vu était médiocre, anecdotique et déjà vu), mais là, je m’en foutais un peu.

[1] Plusieurs fois ensuite au cours de la soirée je l’ai suivie du regard, quand je la repérais dans la foule, et elle a eu une fois un geste tout à fait anodin qui m’a bien plu : passant à côté d’un fauteuil sur le dossier duquel était posé un paquet de clopes, elle l’a ouvert d’un mouvement bref des doigts de la main gauche pour voir s’il n’en restait pas une dedans par hasard. Un truc que je fais moi aussi.

[2] Thierry Henry en particulier, a fait un boulot magnifique — c’est aussi lui qui a marqué le premier but français.

[3] En finale, on jouera l’Italie, qui a éliminé les Pays-Bas ce soir aux tirs au but. J’aurais préféré l’autre version.

[4] Une bonne programmation — sur l’autofiction et la défictionnalisation. Je retiens surtout Clément Arnold (que décidément j’aime beaucoup), un western sonore de Maurice Lemaître, des trucs que j’avais déjà vu, comme le film de Jan Peters et Hélène Villovitch, ou celui de Mathias Müller, un Michael Snow intéressant, très plastique (ça m’a évoqué souvent Mondrian), mais pour lequel il fallait être plus en forme que je ne l’étais : un employé de bureau se lève de sa chaise, enfile son imperméable, et sort — l’ensemble étiré sur un quart d’heure. Pour la nôtre, Ermold avait choisi les provocations à l’air de ne pas y toucher de Valérie Pavia, deux bandes de Marion Lachaise — ça m’a permis de voir à quoi ressemblait son travail avant le début de l’expo — et Isabelle Froment (des vidéos très violentes à cause de leur longueur, qui créaient un malaise palpable si on entrait dedans). Le public qui n’était pas préparé a eu un peu de mal à supporter, et la salle s’est beaucoup vidée, mais c’est chose normale. L’ensemble a occasionné ensuite une belle discussion sur l’art contemporain quand on a été à l’Atomixeur.