Me penchant à ma fenêtre sur la rue Saint-Pierre, j’ai aperçu, comme au-dessus des toits, un bâtiment imposant qu’il ne me semblait pas connaître. Pas connaître sous ce jour, en fait : c’est un des angles de la cathédrale, qui jusqu’ici était enserré dans un réseau serré d’échafaudages, ôté pendant mon séjour à Méliniac. L’effet surprenant vient de la blancheur inaccoutumée de la pierre, qui en perd presque ses ombres et ses reliefs, de tant d’éclat, et tranche nettement avec l’apparence qu’on est habitué à voir aux églises gothiques, veinées de gris divers liés à l’usure, à la pollution et aux intempéries qui les frappent. On en viendrait presque à prendre cette partie rénovée pour un décor, ou du moins un château sorti de l’imagination d’un souverain de la fin du siècle dernier, comme le château de la Pena à Cintra, plus proche, à l’extérieur, d’une attraction de parc de loisir que d’une bâtisse médiévale.
La même impression est produite par les clochetons de Saint-Nicolas, que je vois, descendant la rue de Verdun, de l’autre côté du cours des Cinquante-Otages. Ils s’érigent, éclatants, tandis que l’essentiel de l’église est encore d’un gris sombre et très sale. Le programme de rénovation s’étend, si j’ai bien lu, jusqu’en 2008, et on aura le temps de s’habituer à ces curieuses excroissances dans la ville, peut-être à les trouver belles — comme on a trouvé embellis tous les hôtels particuliers du XVIIIe qui ont retrouvé leur éclat, que ce soit quai de la Fosse, place du Commerce, sur le bord sud de l’île Feydeau (où le plus beau est qu’ils voisinent, tous autant de guingois, avec d’autres façades lépreuses, quoique tout aussi ouvragées, dont les sculptures se rongent et les balcons rouillent : c’est le contraste qui retient le plus). Mais il y en a pour regretter ce toilettage, et qui préféraient Sainte-Croix lorsqu’elle n’était pas aussi blanche : Florence, je crois. Tant il est vrai que la mémoire s’efface devant l’habitude, je ne me souviens plus de cet état précédent.