Samedi 12 août 2000, Nantes matin calme

Elle est passée ce matin, comme elle l’avait dit. Accompagnée d’Anna comme d’habitude (la petite jolie comme un cœur). Elle avait dit 10h et ½, et j’ai piaffé d’impatience toutes les minutes après que la cathédrale ait sonné. J’étais sans cesse à la fenêtre. J’ai même fini par sortir, pensant peut-être la retrouver sur la place. J’avais remis ma chemise d’hier, mais cette fois-ci fermée, sans T-shirt. Et je l’ai vue arriver, chargée comme un bourricot d’une multitude de sacs et paquets, resplendissante dans une robe ringarde comme elle seule sait les porter avec élégance, aux pieds des sandalettes à talons noires, et ses ongles peints de bordeaux. Pâle, unie. Sylvia avait raison, je suis bien encore plein d’elle — et même si ce n’est plus l’amour pur du délaissé[1], je suis loin d’être prêt à succomber pour une autre. Je souffre encore du moindre garçon qu’elle évoque (elle se fait draguer sans cesse, c’est incroyable, et elle en est flattée — elle ne passe pas non plus inaperçue) ; j’ai maudit son existence lorsqu’elle a parlé d’Ivan, m’a demandé de lui rendre pour elle deux livres qu’il lui avait prêtés, a dit qu’elle allait lui écrire… Je l’ai maudit d’autant plus, ce pauvre Ivan, qu’avant j’aimais bien mais que je ne vois plus qu’avec une grande réticence, qu’il est l’an prochain ATER à Paris et y habitera. Et puis lui écrire, c’est lancer un pont ; lorsque je lui avais suggéré à son départ que nous nous écrivions, puisqu’elle m’avait très vite dit en janvier qu’elle écrivait beaucoup, elle avait eu l’air gêné, et avait fini par lâcher « je n’écris plus. Il faut des circonstances très particulières ».

J’ai bien fait de lui dire qu’hier soir, après l’avoir vainement cherchée en sortant de chez Joris, j’avais juste « bu un verre avec Radulphe ». Elle avait bien remarqué Adalard et Sylvia en passant avec « Melpo » et Emma Peel devant le Bar du coin, mais comme elle l’a lâché, le regard dur, avec un geste brusque de sa main tendue, « ah, ben quand j’ai vu qu’il y avait Adalard et Sylvia, pfffuit ! On est passé vite fait sans les regarder ». Adalard a raison de penser qu’elle le déteste : « parce qu’elle n’aime pas les gars qui picolent », avait-il ajouté de son rire de bon cœur. Et c’est vrai qu’une de mes hantises est (et était lorsque nous étions ensemble) de la voir dans ce genre d’ambiance. Mais cela fait aussi que je suis peu naturel avec elle, toujours plus ou moins sur mes gardes, gentil, léger —loin de ce que je suis d’habitude. Autant en revanche, j’étais très à l’aise hier soir dans la conversation avec Sylvia, qui est bien plus une fille comme nous. Florence vient de nulle part ; elle ne ressemble à personne.

C’est d’autant plus étrange (mais on n’est pas à une contradiction près avec elle) qu’elle vénère la sincérité et la simplicité ; elle m’a fait en ce sens un grand éloge d’Emma Peel — qu’au départ (entraîné par Ermold le soupçonneux) j’avais pris pour poseuse et arriviste ; mais c’est en effet quelqu’un de bien, comme, je crois, Florence, quoique d’un égoïsme à lever des montagnes, est foncièrement bonne. Elle m’a ensuite parlé avec dédain de ce qu’Héléna Noguerra (donc la copine de Katerine) allait présenter le Journal du hard sur Canal+, qu’elle devait, elle, être d’une ambition folle. Puis, vite, elle s’est levée, a repris ses sacs, et est repartie prendre son train pour « la campagne » avec Anna, toujours ballottée en tous sens. Je ne pensais pas qu’elle resterait même si longtemps — alors qu’à peine arrivée, elle s’est jetée dans mon fauteuil bleu. Et puis nous avons convenu de ma venue : le weekend du 25 — à moins de je-ne-sais-quoi qui la ferait changer d’avis au dernier moment. Je l’aime.

Ensuite, très peu travaillé. Résisté à l’envie de me masturber en pensant à elle ; fait la sieste. Grande chaleur. Je travaille beaucoup moins bien que l’été dernier ; je ne sens pas la même pression, alors qu’elle est pourtant plus grande. Peut-être un mauvais effet des médicaments du docteur Moreau — en tout cas, je ne suis pas du tout déprimé ; plutôt content, même. Un coup de téléphone de D. en fin d’après-midi. Avec l’application des 35 heures dans son entreprise, il est tout le temps en vacances. Je l’ai senti guilleret au bout du fil ; et en effet, il part camper une semaine avec une demoiselle qu’il a rencontré il y a peu. C’est bien que ça arrive de temps en temps. Chez Joris ; tournoi de flipper jusqu’à trois heures du matin. La nuit va encore être courte, puisque lui et moi allons demain à l’anniversaire de Mathieux à La Bernerie.

[1] Je me rappelle trop la pression continuelle sous laquelle elle me faisait vivre, avec ses angoisses, ses manies ; comment mes culpabilités multiples refleurissaient pleines de santé.