Mail à Chepe. Il y a plusieurs jours que Joris m’a dit qu’il avait son adresse, mais c’est finalement par Catherine Doinel que je l’ai eue. Je sais qu’il est retourné vivre à Huesca avec sa mère ; pour le reste, pas d’information. Aucune idée de ce qu’il fait ; mais ce qui ressemble à une retraite dans sa ville natale a le parfum du peu glorieux retour dans sa petite ville d’Artur Corvelo dans La Capitale d’Eça de Queiros (et de tant d’autres).
Malgré ma fatigue extrême, qui confinait presque à l’évanouissement, je suis sorti hier. J’avais convenu avec Philippe qu’on irait boire un verre, et entre temps Wolbodo m’a invité à le rejoindre avec Theudebald (donc René Bergère) au Bar du coin, où nous nous sommes installés en terrasse dans le froid humide — position idéale pour observer l’abondante faune qui arpente ce coin de rue, un des plus fréquentés à la nuit tombée. Soirée molle, parce que j’avais mis en présence des gens qui ne se connaissaient pas du tout, et parce que je n’étais pas bien — car même quand les Mathieu(x) nous ont rejoint, rien n’a vraiment décollé. Jusqu’à ce que je me sente même prêt à vomir. J’ai alors pris mes cliques et mes claques et suis rentré droit dans mon lit, où j’ai dormi douze heures d’affilée. J’espère que Philippe ne s’est pas trop ennuyé ; il est en tout cas parti en même temps que moi, prétextant le froid. Il faut dire que je l’ai un peu laissé tomber, parce qu’entre temps, est arrivé Père, accompagné de toute sa bande, qui revenait du déménagement de Paul à Toulouse – qui y a donc trouvé du boulot. Je suis allé m’enquérir de son frère : il a eu un grave accident de voiture ; assez pour être dans le coma depuis trois semaines (un coma artificiel d’abord, mais dont il a maintenant du mal à sortir) ; il a parlé du sentiment bizarre de se retrouver à l’hôpital, face à un homme-robot, et de la façon dont ça changeait les relations dans sa famille. Je lui ai trouvé du détachement ; peut-être en partie feint par pudeur, mais c’est dans son caractère, et je ne sais pas non plus dans quelle proximité il était avec son frère. En tout cas on ne peut être qu’inquiet.
C’est dommage que j’aie été malade, j’ai vraiment dû écourter de beaucoup la soirée, alors que je vois très peu souvent Stéphane désormais ; comme je serais bien resté plus avec Catherine Doinel : je ne sais pas ce que je lui aurais raconté, mais elle avait l’air contente de me voir et semblait dans des dispositions bavardes.
Ce qui m’a, à nouveau, le plus frappé, c’est la façon dont tout le monde se connaît, même ceux dont on ne l’attendrait pas. Nantes est vraiment un tout petit village pour les gens comme nous.