« Foutez comme des ânes débattés ; mais permettez-moi que je dise foutre ; je vous passe l’action, passez-moi le mot. Vous prononcez hardiment tuer, voler, trahir, et l’autre vous ne l’oseriez qu’entre les dents ! Est-ce que moins vous exhalez de ces prétendues impuretés en paroles, plus il vous en reste dans la pensée ? Et que vous a fait l’action génitale, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour en exclure le signe de vos entretiens, et pour imaginer que votre bouche, vos yeux et vos oreilles en seraient souillés ? Il est bon que les expressions les moins usitées, les moins écrites, les mieux tues soient les mieux sues et les plus généralement connues ; aussi cela est ; aussi le mot futuo n’est-il pas moins familier que le mot pain ; nul âge ne l’ignore, nul idiome n’en est privé ! il a mille synonymes dans toutes les langues, il s’imprime en chacune sans être exprimé, sans voix, sans figure, et le sexe qui le fait le plus, a usage de le taire le plus. »
Je trouve ceci dans Jacques le fataliste, excellent livre, toujours divertissant, et comme matrice de dizaines d’autres.
Terminé de réfléchir sur L’Évolution des idées en physique, d’Einstein et Leonard Infeld. La lecture de cet ouvrage, trouvé à nouveau par hasard, et aussi rébarbatif qu’il ait pu être par endroits, n’aura pas été inutile : elle m’a permis de bien préciser mes idées sur le rôle de la technique dans les sciences de la nature — je crois avoir réussi à le dépasser[1] pour y trouver un appui pour ces idées. Puis entamé La Nature dans la physique contemporaine de Werner Heisenberg, plus directement pertinent pour moi. Son tort est cependant de ne pas voir que si la physique ne consiste qu’en l’analyse de notre propre comportement et de nos propres actions, ce n’est pas une caractéristique de la seule physique quantique, mais elle l’est de toute physique — comme de toute construction humaine. Il serait bon, en revanche, de s’interroger sur le pourquoi d’une telle dichotomie : parce que la physique classique n’aurait pas choqué notre conception de la « causalité » ? (l’ayant bâtie).
Je suis bien entendu face à un continent inconnu dans son ensemble, à part des aperçus superficiels sur quelques domaines (et même si l’anthropologie clinique me donne des clefs de compréhension des principes). Gouverné qui plus est par des gens d’une intelligence avec laquelle je ne voudrais pas être amené à comparer la mienne.
Maintenant, il faudrait arrêter bientôt de lire pour me remettre à écrire — il y a là de lisibles stratégies d’évitement, encore une fois. Et je suis loin des objectifs que m’a fixés Branger ; j’ai l’impression diffuse que ça va être plus facile, mais il va falloir bien accélérer le rythme par rapport à l’an passé.
J’ai été léger il y a quelques jours au sujet de l’accident du Koursk. Tous les marins sont morts. Le drame, c’est qu’on ne sait pas s’ils sont morts parce que les secours sont intervenus trop tard, ou avec des moyens inappropriés, ou s’ils sont morts dès l’avarie (lorsque les Norvégiens sont arrivés sur les lieux, après que la Russie se soit résolue bien tard à demander officiellement leur aide — il a fallu le temps de l’acheminer, et les conditions climatiques rendaient toute intervention difficile — ils ont pénétré très vite dans le sous-marin, quand les Russes n’y étaient pas parvenus). Les informations les plus contradictoires ont circulé à ce sujet. Dans les premiers jours, on a annoncé qu’il y avait eu des échanges de signaux en morse par coups frappés contre la coque, mais maintenant, les autorités prétendent que l’ensemble du sous-marin a été inondé tout de suite, et que la plupart des hommes se trouvaient dans la partie endommagée par la catastrophe lorsque celle-ci s’est produite. Aujourd’hui, ce qui choque le plus l’opinion russe au-delà de l’incurie de la marine, c’est que Vladimir Poutine n’ait même pas interrompu ses vacances sur le bord de la Mer Noire pour se rendre sur les lieux du drame ; il a pris à la légère et l’accident et les réactions émotionnelles de la population, gardant là (comme ses généraux pratiquant une désinformation grossière) des traits de son passé soviétique.
[1] Non, bien sûr, que je prétende avoir tout compris du détail de son argumentation ; mais là n’est pas le propos (je continue même à avoir beaucoup de difficultés avec la physique dès qu’elle entre dans le détail ; et je n’y ai jamais été très bon : pour le bac, c’est une matière que j’avais dû bosser le plus pour avoir une bonne note – et je n’en ai plus jamais fait ensuite).