Mardi 22 août 2000, Nantes

Déçu par la lecture de la suite de Ponge ; de nombreux textes du Parti-pris des choses me semblent d’une ennuyeuse banalité. Ponge est intéressant lorsqu’il décrit l’univers des petits employés, mais ses morceaux sur les matières ou les objets ne me semblent pour la plupart pas convaincants[1]. Même si c’est peut-être son propos, rien ne s’y démarque.

Début d’après-midi avec René Bergère, venu m’apporter des disques de jazz (il a une vraie écoute de musicien, intériorisée, et a trouvé que l’interprétation de « Caravan » que j’ai par les Jazz Messengers période Wayne Shorter-Freddie Hubard est un peu trop « jazz spectacle »). Longue conversation qui a largement dépassé la musique. J’ai dû dépenser une grosse dose d’énergie mentale : maintenant, je suis crevé. Il m’a notamment proposé un sujet de réflexion, d’autant plus complexe qu’il est expérimentalement impossible : qu’arriverait-il si le temps s’arrêtait ? Selon lui, comme il n’y aurait plus aucun mouvement, et que la matière est essentiellement composée du mouvement des particules, non seulement il n’y aurait plus de lumière, mais l’univers tomberait en poussière, au lieu de rester « suspendu » comme on inclinerait spontanément à le penser, puisqu’aucune force ne s’exercerait plus pour maintenir la cohésion des choses. La question est en fait de savoir si le temps a vraiment un rôle à jouer dans cette affaire ; et de ça, je ne suis pas bien sûr. Il me semble qu’on lui transfère certaines « qualités » qui ressortissent au programme inhérent à l’outil qui produit l’observable — au fait qu’une « action », techniquement, ne peut que s’envisager comme un tout, où les concepts de début et de fin n’ont pas de sens (comme, grammaticalement, dans le mot, au sens que Gagnepain donne au terme, tout est signifié ensemble sans avant ni après, la successivité perçue n’étant liée qu’au réinverstissement de la phonologie dans une prononciation qui forcément l’implique). Mais pour cette affaire-là précisément, je n’en sais rien.

À l’anniversaire de Béatrice Masson sur la butte Sainte-Anne. Après notre rentrée au Flesselles, rouvert depuis hier. Les habitudes reviennent. J’ai fini bourré comme un coing, et j’ai mis plus de deux heures à rentrer chez moi : je me suis perdu dans l’ouest de Nantes, et je ne comprends absolument pas comment j’ai pu faire. Soirée chiante cela dit. Observé Ermold maladroitement draguer une fille, discuté avec Radulphe. Je suis vraiment salement bourré, à tel point que taper sur les touches du clavier est un calvaire, tant j’ai envie de vomir ; je n’ai jamais tapé aussi lentement. Aucune occasion féminine, et je ne les attendais pas. J’aurais mieux fait de rester chez moi à travailler. Je n’ai plus qu’à attaquer Sylvia, même si Florence ne l’aime pas et que Broerec et Ermold la trouvent laide. Ce serait plus intéressant. Là, je me sens vraiment trop mal.

[1] « Note sur les coquillages », avec cette idée que ces « bâtisses » à la taille de qui les habite sont plus impressionnantes que les monuments humains, est néanmoins évocateur. Il m’a fait penser au géant de Sam enfermé dans un immeuble qui le contient à peine, et rejoint des préoccupations sur le corps et la vie humaine fréquentes aujourd’hui (un des architectes présents  à la biennale de Venise cette année réalise des sortes de caissons de survie qui, idéalement, pourraient servir pour les clandestins dans les avions — une manière de mettre en question les rapports de l’Occident tentateur et technologique avec les habitants des pays pauvres qui sont prêts à peut-être payer de leur vie pour l’atteindre ; on peut penser aussi aux cellules de survie de l’artiste israélien Absalon). Mais c’est sans doute une réflexion plus générale sur la personne et le soma qui mériterait d’être un peu plus théorisée.