La journée ne va pas être du tout productive. Cette nuit, j’en tenais une sévère ; comme rarement. Bu comme un cochon, de tout et n’importe quoi ; trop fumé. A y resonger, c’était une fête assez réussie. Mes camarades ont trouvé, eux, que c’était bien. Il y avait du monde, du beau monde même[1], de l’ambiance. C’est moi qui me suis senti minable. Je ne contrôlais plus ce que je disais (je déteste ça, mais je ne sais pas non plus toujours m’arrêter de boire à temps). J’ai un peu fait rire à mes dépends avant mon départ précipité, paraît-il avec des propos véhéments et une élocution de parfait poivrot. Ça c’est la honte. De manière générale, je n’ai pas été brillant dans la conversation, je n’ai pas fait montre de beaucoup d’esprit, et mes interlocutrices ont toutes fini par s’enfuir. J’ai fait mon petit Dazai aux réunions d’écrivains — je peux toujours essayer de me remonter le moral comme ça avec une comparaison prestigieuse. A tout prendre, cela dit, je suis loin d’avoir été aussi ridicule que Lisa Bresner, qui a craché sur un type (avec qui elle avait un différend), puis s’est battue avec sa femme devant tout le monde. Cette fête très bien achalandée avait un petit côté « campagne électorale » : on serre beaucoup de mains, on échange des propos sans gravité, on se hausse un peu du col… La formule est d’Ermold, qui a aimé pour ça. Moi je déteste. Et n’y suis jamais bon. Je mets du temps à rencontrer les gens (par exemple, hier, c’est la première fois que Theudebald venait chez moi et que nous avions une conversation en tête-à-tête, alors que j’ai dû le rencontrer il y a trois ou quatre ans déjà). Et les rapports superficiels ne m’intéressent pas, d’autant qu’il y faut une réactivité que j’ai du mal à avoir. Je ne suis pas du tout « communication ». Un peu lourd peut-être, ce dont le narcissisme de ces pages témoigne malheureusement. « Il faut savoir si tu veux être hype ou non » m’a rétorqué Ermold ce matin : eh bien de cette manière-là, non. Mais mon humeur morose est aussi due à ce que je suis rentré à pied avant la fin, et que j’ai marché des kilomètres en pure perte.
Appelé Florence pour lui donner mon heure d’arrivée vendredi, et, malgré ma fatigue extrême, parlé une heure. Comme d’habitude, c’est elle qui dirigeait la conversation. Elle a évoqué son bonheur de vivre à Paris, un émerveillement quotidien pour elle, le plaisir que lui procure son travail. Elle est heureuse et déborde de vie — à peine est-elle assombrie par « quelques petits soucis personnels », soucis sur lesquels ma jalousie n’a fait qu’un bond. Mais je dois aborder ce weekend avec légèreté. Je gâche bien trop la seule vie que j’ai.
[1] Philippe Blanchard, avec Philippe Éveno, et Nathalie Richardeau : Radulphe et moi avons pas mal discuté avec elle. Je la trouve sympathique, mais elle m’intimide : je n’ai pas grand-chose à lui dire. Mon challenge, ce soir, ça aurait été de parler avec Katerine. Mais je ne vois pas pourquoi je l’aborderais, et je n’aurais strictement rien à lui dire. Je me suis fait charrier à ce sujet d’ailleurs.