Mardi 29 août 2000, Nantes

En fin d’après-midi au vernissage d’une exposition dans la galerie de Beaulieu ; je n’y serais jamais allé si Béatrice Masson ne m’avait pas fortement poussé hier : j’en ai un peu assez de ces trucs-là. De fait, j’aurais pu m’en dispenser. L’exposition n’était pas mal, certains trucs présentés plutôt intéressants — au moins drôles ; et puis c’est toujours à la fois facile et pourvoyeur d’idées de montrer de l’art dans une galerie commerciale (même si ça ne va pas parfois sans un certain mépris du populo pour lequel on le fait quand même — l’attitude peut être très ambigüe, et je ne veux pas trop condamner, parce qu’il y a des chances que j’aie la même si j’exposais : je ne fais que remarquer. C’est en tout cas une confrontation avec l’autre sans doute plus profonde que les organisateurs ne l’ont pensé, et cette confrontation pose toujours des problèmes. Par essence en quelque sorte (c’est là-dessus qu’il faudrait réfléchir de façon plus poussée d’ailleurs). Mais pour le reste, je n’ai fait qu’échanger avec les gens habituels les propos habituels : l’idée était donc surtout de montrer que j’existe, sachant que pour la majorité je n’existe pas. Et je m’en fous pas mal, même si en situation, ce serait mieux d’être le centre de toutes les attentions, ce serait plus facile, ou du moins plus agréable pour l’égo. Il y avait un type, que je croise souvent dans ces endroits-là, qui ressemble assez à Philippe Katerine, et en tout cas mime à la perfection sa manière pouilleuse-chic de se vêtir, et une fille grande et pétulante qui racontait à sa copine le verbe haut comment elle trompait son copain parce qu’elle avait besoin d’amants, et s’efforçait de le lui cacher parce qu’il ne l’accepterait pas. J’écoutais avec des sentiments mêlés.

Filé à l’anglaise, à mon habitude. Il n’y a pas à dire, quand Ermold est là, c’est plus facile, il arrive toujours à attirer un tas de conversation. Mais c’est rester dans son ombre. Donc soit je reste à sa remorque, soit j’évite ces endroits. L’exemple de Florence me pousserait plutôt à la seconde solution — en fait j’aspire aux deux en même temps (pas à être le second de mon double noir, mais à être exposé) : la solution serait de n’en faire qu’à sa tête mais d’être quelqu’un. Je n’en suis pas encore là.

Une fois rentré, je comptais me remettre au travail, mais coup de fil de Clément. Presque une heure de conversation, puis coup de sonnette : Fred qui venait me rapporter ma guitare. À nouveau longue discussion, en buvant du rhum et en fumant l’intégralité de mon paquet de cigarettes acheté ce soir. Toujours sur les mêmes sujets : nos envies musicales, nos goûts (maintenant, c’est à mon tour de lui faire découvrir du jazz[1] — Dizzie Gillespie en grande formation, « Caravan » et « This is for Albert » d’Art Blakey & the Jazz Messengers  ; écouté aussi John Spencer qu’il a trouvé « puissant », à juste titre : je ne connais guère de musique plus sauvage, à part certains morceaux de hard bop, justement), le problème d’être ou non une star, et la grande classe de ceux qui le sont comme naturellement — Marcello Mastroianni. Beaucoup parlé de Katerine, et aussi de Loïc. Nos propos tournent d’autant plus en rond que nous n’avons pas grand-chose à nous dire (et c’est moi qui parle le plus).

[1] Joli retournement de tendance !