Mercredi 30 août 2000, Nantes

Réveillé plusieurs fois dans la nuit par des gens qui se battaient et hurlaient comme des malades dans la rue ; des mecs ronds comme des queues de pelle, et super agressifs. Ils avaient l’air d’être copains, ou du moins de se connaître — mais dans certains milieux, je ne sais pas trop ce que recouvre le terme de copain : pas grand-chose, parfois, j’en ai l’impression. Une fois j’ai gueulé, puis d’autres voisins se sont mis à leur fenêtre (il faut dire que c’était exactement au niveau de mon immeuble que la rixe se déroulait), et celui d’en face est même descendu en menaçant de cogner, et ça a calmé les trois pauvres cons. Je ne pense pas que j’aurais eu le courage de le faire, de peur de prendre des coups, sans doute. Donc ensuite, dormi très tard. La baston est quelque chose que j’ai vraiment du mal à comprendre ; dans mon milieu, on ne se bat jamais. C’est mieux, certainement. Mais ce n’est pas tellement par sagesse ; plutôt parce qu’on est bien « policés » et aussi qu’on maîtrise la parole. Cela rend peut-être aussi plus timoré (aussi dans des cas comme les relations amoureuses, pour quelqu’un comme moi la parole n’est pas tellement une aide, elle est plutôt paravent, presque pare-amour) ; il y a tellement souvent des gens qui se battent que ça ne doit pas être si terrible quand on a été élevé dedans[1] (lorsque je suis allé à la gare à pied vendredi matin, les pavés devant le Castel étaient éclaboussés de sang — c’est une sorte de boîte pour VRP, filles de rien et marlous, dans la rue qui fait le coin avec la mienne et descend vers le château).

Journée peu efficace, à me traîner, le ventre lourd, et où les cigarettes ont été toutes mauvaises. Sieste. À minuit, sorti boire un verre avec Mathix et Loïc, ce qui m’a permis d’offrir au premier le cadeau que Joris et moi lui avons fait pour ses trente ans — aussi de réfléchir au plan de ma thèse, vu qu’ils sont arrivés avec ½ h de retard.

Terminé le roman de Jim Harrison commencé dimanche soir (Nord-Michigan, Farmer dans l’original). Un livre magnifique, un des plus beaux que j’aie lu depuis longtemps, calme, simple, très pénétrant. Peut-être le fait que la fin — qu’on dira heureuse — soit connue dès les premières pages a ajouté à mon plaisir, puisque trop souvent les tensions dans les livres me prennent tellement au ventre qu’elles m’empêchent de jouir de la lecture. Je dois alors en quelque sorte me battre contre ma faiblesse pour apprécier ces morceaux de littérature, dont je sens qu’ils peuvent faire partie des plus grands.

[1] Je me méfie des jugements qui en feraient quelque chose de « primitif » : il n’y a en toute rigueur pas d’êtres humains qui soient plus primitifs que d’autres, et surtout pas le prolo par rapport au petit bourgeois (même si évidemment, je le pense moi aussi de temps en temps, la mâchoire crispée d’un sentiment de rejet).