Au final, un bon weekend avec Florence, auquel, je pense, nous avons contribué tous les deux. À notre arrivée à Nantes, j’ai été très déçu, parce qu’elle a disparu sans que nous n’ayons même pu nous dire au revoir, mais elle m’a appelé plus tard dans la soirée, une fois à Paris. J’aurais aimé pouvoir l’accompagner sur le quai de la gare, comme elle l’avait fait pour moi dimanche soir dernier, mais ça n’aurait de toute façon pas été dans les mêmes circonstances. Nous avons pris du retard sur la route, et à cause des déviations installées à tout bout de champ dans le centre à cause des Rendez-vous de l’Erdre, nous ne sommes arrivés place de la cathédrale, où elle devait récupérer Anna, qu’à cinq heures moins le quart. Les parents de son père, qui avaient emmené la petite, attendaient sur les marches depuis un bon quart d’heure, et l’ont engouffrée dans leur voiture avant qu’elle ait eu le temps de dire ouf pour les conduire à la gare (m’a-t-elle raconté ensuite) ; le temps que je me range en vrac, plus personne. C’était un peu goujat, mais elle n’y est pour rien — c’est l’angoisse des grands-parents qui a parlé. J’ai fait le tour de la place en vain, les cherchant entre les files de voitures et les cars garés à tout-va, mais j’ai fini par penser qu’ils étaient partis, et j’ai repris la voiture pour aller la rendre à mes parents. J’ai mis beaucoup de temps, et mon extrême lassitude a rendu ce trajet par à-coups encore plus désagréable.
Si j’avais écrit samedi, comme j’avais projeté de le faire, le ton de mes propos aurait été différent ; mais je n’ai pas eu le goût de m’y mettre, et de toute façon Cédric Maindron m’a appelé, et nous avons bavardé un bon moment de son voyage en Ouzbékistan avec Greg. De Florence, je ne voyais à ce moment que son extrême maniaquerie, ses comportements contradictoires que ma jalousie me fait toujours interpréter comme des marques de distance à mon égard (voire des marques de bêtise lorsqu’elle m’énerve vraiment) ; par exemple ce fait étrange et très nouveau qu’elle ait tenu absolument à avoir sa bouteille de jus de pamplemousse personnelle (une de ses drogues, j’ai déjà dû le dire), et ait affirmé que si je n’en avais eue qu’une seule, elle n’y aurait pas touché. C’est évidemment très anecdotique, mais révélateur de cette impulsivité névrotique dont je ne parviens pas à saisir la clef. Comme le fait qu’elle ne m’embrasse jamais, ne me touche jamais non plus (elle embrasse très peu de toute façon ; surtout pas les gens qu’elle connaît à peine ou qu’on vient de lui présenter, mais pas non plus Melpomène, dont elle dit qu’elle est sa meilleure amie : ce n’est pas juste parce que nous avons été ensemble que je n’y ai pas droit, même si ça doit jouer[1]), mais qu’à côté de ça, elle ne semble pas gênée le moins du monde de se balader devant moi en T-shirt court et sans culotte, ouvrant à mes regards la voie de son sexe brun, et même celle de la ficelle du tampon qu’elle portait — même si je ne suis pas censé regarder. Elle est vraiment — mais parfois seulement — une des personnes les moins simples qu’il m’ait été donné de connaître. Et peut-être des plus infernales à supporter au quotidien ; mais sur cette dernière question : je n’arrive pas à me décider.
Dès son arrivée à Nantes vendredi soir, elle m’a pourtant prodigué des marques de confiance (ou d’amitié, comme on voudra) qui indiquent qu’elle tient un peu à moi — et elle m’a bien répété tout à l’heure au téléphone qu’elle avait passé deux jours magnifiques. Comme elle n’avait pas vu Loïc depuis qu’elle est partie à Paris fin mai, elle voulait lui proposer d’aller la chercher à la gare, pour qu’ils aient un peu de temps tous les deux (c’est-à-dire sans Coline), mais elle n’a pas réussi à le joindre — en fait, il voulait aller tôt aux concerts au bord de l’Erdre, et les comptait visiblement comme plus importants qu’elle ; ils n’ont d’ailleurs que bien peu parlé de la soirée ensuite lorsque nous nous sommes rejoints. Loïc n’éprouve nullement la fascination que j’ai pour elle. Il l’aime bien, mais il estime sans doute avoir fini de pouvoir l’utiliser (elle et ses relations), et doit avoir une petite réticence du fait de sa réprobation de son comportement avec plusieurs de ses amis lorsqu’elle est sortie avec eux (ma ténacité doit donc l’amuser). J’ai donc proposé d’aller la chercher. Et sur le chemin vers chez moi, elle a très vite demandé si elle pouvait dormir chez moi : chose que je n’aurais pu imaginer. Je ne me le suis pas fait demander deux fois. Même si je savais qu’il n’y avait pas grande chance qu’il se passe la moindre chose, lorsqu’elle s’est préparée pour dormir dans la salle de bain lorsque nous sommes rentrés de notre soirée, je n’ai pu m’empêcher de bander dans mon pantalon. C’est se contenter du moins, mais la regarder dormir (surtout cette nuit à Méliniac), sentir les douces senteurs de ses produits de beauté, cela m’a empli de bonheur
Je voudrais croire pouvoir la reprendre, la reconquérir ; faire que, sans qu’elle ne s’en rendre compte, je lui devienne indispensable… Et la voyant songeuse assise dans le sable sur une plage où nous nous sommes arrêtés avant de rejoindre Méliniac hier soir (le meilleur moment du weekend – sur plage mazoutée, ce dont on ne s’est rendu compte qu’une fois qu’on en a eu plein les pieds), ou marchant à ses côtés dans les vagues, j’imaginais que c’est à moi qu’elle pensait avec cet air tendre ; c’était peut-être à son enfance, puisqu’elle s’était montrée, juste avant, très heureuse, émue, que je la conduise revoir la maison où elle passait ses vacances petite, en descendant les hauteurs de Guérande vers les marais. Il y avait au moins une complicité du silence qui dépassait ses sentiments personnels — à mes yeux alors un peu égoïstes, puisque j’étais là, moi, n’attendant que ses pensées. Au mariage, il y avait une boîte dans laquelle on pouvait tirer des papiers du genre horoscopes ; elle et moi en avons tiré, et moi, dans ces cas-là, je ne peux me retenir d’être d’une superstition à tout crin, j’y vois des signes. Et comme elle a eu
« Rien n’est irréparable, il y a toujours une seconde chance, saisissez-là ! Plus rien ne vous arrêtera ! »
et moi
« Osez lui parler, cessez ce jeu de cache-cache, il est plus difficile de cacher ses sentiments que de feindre ceux que l’on n’a pas. »
j’y ai forcément vu le signe que nous allions revenir ensemble — sauf que je ne lui ai rien dit, je connais la limite entre le jeu et la réalité (ma timidité m’aurait conseillé de toute façon une réserve prudente). Mais aujourd’hui, j’ai pensé que notre complicité était peut-être suffisante, qu’il valait mieux ne pas chercher plus loin ; qu’il fallait me contenter de ces petits moments, précieux, comme ceux que nous avons partagé ces deux weekends ensemble[2]. Et pour ça, comme j’ai été soulagée lorsque Melpomène a finalement appelé samedi matin pour dire qu’elle ne viendrait pas. Florence le lui avait proposé parce qu’elle s’était à nouveau disputée avec son copain avant que nous arrivions chez eux vendredi soir, et avait décidé en conséquence de ne pas aller à sa fête de famille ; mais elle a fini par y aller quand même.
[1] Mais je ne peux dire à quel niveau : parce qu’elle trouve cela trop fade pour des gens qui se sont connus, ou par crainte que le contact ne la mette mal à l’aise ? L’amusant à ce propos, c’est que je lui ai vite imposé le « Je t’embrasse » comme formule pour nous quitter au téléphone ; le dire plutôt que se risquer à le faire.
[2] Comme un couple, mais qui ne baise pas… oui, je sais qu’il y a aussi ça, je me le répète assez. Mais je suis coincé dans l’engrenage. Lorsque je ne ressentirai plus aucun désir pour elle, il est probable que, comme Loïc, mes sentiments s’éteindront.