« À Paris, tous les hommes doivent avoir aimé. Aucune femme n’y veut de ce dont aucune n’a voulu. De la crainte d’être pris pour un sot, procèdent les mensonges de la fatuité générale en France, où passer pour un sot, c’est ne pas être du pays. »
Réveillé par un coup de téléphone d’Ermold peu avant neuf heures. Heureusement, parce qu’il s’est avéré qu’hier soir j’avais oublié d’enclencher le dispositif de sonnerie du réveil. Parlé plus d’une heure, moi la bouche sèche et fumant des clopes vautré dans le fauteuil bleu, lui vaquant à ses occupations (les variations de l’environnement sonore de sa voix m’indiquaient quand il changeait de pièce ; je crois qu’il a fini dans sa baignoire — au moins dans sa salle de bain. Je l’imaginais, amusé, assis dans l’eau le téléphone collé à l’oreille). Récit rapide du voyage en Roumanie, dont tous semblent être revenus assez détruits[1]. Broerec semble même « n’avoir pas fait montre d’une grande intelligence », et a terminé hébété. C’est Radulphe qui a été « vraiment punk ». Cela ne m’étonne pas tellement. Non plus que d’apprendre que Broerec a fini par se décrire comme un minable qui ne sait pas draguer et baise très mal. Que ce soit vrai ou non n’est pas la question (et ça dépend tellement du point de vue que se le demander n’a même pas vraiment de sens) ; mais qu’il se révèle fragile n’est pas pour m’étonner. Il est beaucoup trop bravache.
Ermold est revenu sur le manque de courage qu’il a lui aussi à faire le dernier pas avec les filles (une nouvelle fois il n’a pas osé, avec la jeune Roumaine qui lui plaît), et je lui ai parlé de mes deux nuits avec Florence, de cette impression bizarre, déstabilisante pour la masculinité, de se retrouver à moitié nu dans un lit avec une fille qu’on désire, et de ne pas la toucher ; j’ai en revanche tu mon séjour à Paris (dont la mention lui aurait d’ailleurs donné encore plus d’éléments pour me reprocher ma pusillanimité). Ensuite, lu quelques-uns des « romans » de Fragments de la vie des gens de Régis Jauffret, où les protagonistes à chaque fois crèvent de solitude et d’ennui dans des vies ratées — mais je ne me suis pas laissé entraîner à y voir un prisme pour une lecture possible de ma propre vie.
[1] J’avais donc raison de juger qu’y aller signifierait perdre bien plus que les dix jours du voyage. Je n’ai pas toujours beaucoup travaillé, j’ai encore perdu pas mal de temps. Mais j’en ai passé avec Florence. Lorsque je suis avec elle, je n’éprouve pas le besoin de boire, presque pas de fumer, indices suffisants que je suis (maintenant) bien avec elle. Lors de la soirée du mariage, j’ai évidemment beaucoup fumé, pour m’aider à entrer en contact avec tous ces gens que je ne connaissais pas, mais j’ai évité de m’assommer d’alcool (je me suis forcé à vomir une fois rentré, mais c’est plus parce que j’avais mangé trop de viande) ; j’ai aussi beaucoup dansé, et ai pris un vrai plaisir à me laisser entraîner par la musique. C’est lorsque je me suis réveillé en sursaut à six heures du matin, après un sommeil agité, et que j’ai vu (je l’ai senti avant de le voir) que Florence n’était toujours pas rentrée, que je me suis levé pour fumer clope sur clope en l’attendant. J’étais bien plus jaloux de ce qu’elle pouvait bien faire aussi tard qu’angoissé, même si j’ai prétendu que c’était la crainte de ce qui avait pu lui arriver qui m’avait éveillé.