Lundi 18 septembre 2000, Nantes

Hier soir malgré mon état (largement empiré), je suis sorti voir Fast Food, Fast Women d’Amos Kollek, avec la magnifique et étrange Anna Thompson. J’y suis allé sur le conseil de Florence, ou plutôt pour plonger un peu de temps dans un univers qui lui a plu, et penser que ça nous rapprocherait. J’ai été enthousiasmé. Je n’ai pas vu les deux précédents films du duo, je sais seulement qu’ils étaient plus sombres et durs que celui-ci, et que ce dernier possède le même type d’univers étrange et décalé, entre le New York des gens normaux (une serveuse de restaurant, un écrivain non-publié contraint de gagner sa vie comme chauffeur de taxi, des vieux désabusés ou timides devant l’amour qui revient faire un tour) et une drôle de réalité dont on ne sait pas très bien s’il faut la prendre comme telle — le récit mélange une structure réaliste classique, quoique très emprunte de conte de fée, avec des modes de réalisation qui en laissent douter. Un film qui tourne autour de l’amour, de la nécessité de ne pas sombrer devant le temps qui passe — les vieux mentent sur leur âge pour rajeunir leurs soixante ans bien passés, Bella ne cesse d’angoisser à propos de ses trente-cinq ans qui arrivent sans qu’elle se soit trouvée (son vieil amant se fout d’elle, sa mère riche et liftée  l’étouffe à distance au téléphone), Bruno se retrouve du jour au lendemain avec deux gamins à assumer[1] et par dépit de son manque de stabilité — sans doute n’est-ce pas pour rien qu’il est taxi — se tape sans arrêt les filles qui passent, et surtout des minettes écervelées.

Dans ce moment où la faiblesse physique me poussait aux considérations les plus désabusées sur ma propre existence, je l’ai lu (encore une fois) comme un message pour remonter à la surface — et comme un message envoyé par Florence. Une fois rentré, je l’ai réveillée à mon tour en l’appelant : mais avant de la laisser retourner dormir, je l’ai remerciée du conseil d’aller voir le film (en fait à peine formulé : je vois des signes partout, et je sais trop combien je lui mange dans la main…)[2]. Et c’est sans doute la raison pour laquelle j’ai vu tant de ressemblances entre Anna Thompson — le personnage de Bella — et elle ; une même chaleur humaine qu’on voudrait pouvoir partager ; une même faiblesse dans la force, qu’on voudrait pouvoir accompagner… Mais n’est-ce pas trop fantasmer ma vie réelle pour avoir une chance d’en faire quelque chose ?

 

Plusieurs conversations avec Florence dans la matinée. Je sens que je n’avance pas — j’ai commencé par écrire « je sans » : y a-t-il quelque chose qui me manque pour que j’avance ? Est-ce que j’avance sans avancer ? Rendez-vous chez le médecin, qui ne me trouve strictement rien. Au retour, interpelé par Sylvia place du Pilori ; je lui propose un verre au Flesselles avant ma réunion. Là, je crois que j’ai avancé. Mais ai-je vraiment envie d’aller au bout ? Ce qui me manque est trop évident : le mât qui, justement permet au navire d’avancer.

[1] La petite de cinq ans, qui tient le rôle, classique au cinéma, de l’enfant plus mûr que son âge, est adorable. Elle fait partie de ceux qui poussent à l’optimisme lorsqu’on voit le film — et alors même qu’elle sert presque de mère de substitution pour Bruno débordé par sa nouvelle charge de père.

[2] Ce qu’elle m’a dit ce matin, c’est que, ne parvenant pas ensuite à retrouver le sommeil, elle a plusieurs fois cherché à m’appeler ; mais trop déçu de la perspective de me coucher sans avoir parlé à une voix amie, j’ai passé une bonne heure au téléphone avec Clément à Montréal.