Terminé hier soir une grosse biographie de Proust. Un genre que je ne prise pas tellement ; mais je me suis laissé prendre par le flux des évocations qui naissaient pour moi de la lecture.
Je découvre aussi avec enthousiasme mes premières pages de Léon Bloy ; La Femme pauvre traînait sur mes rayonnages depuis des années, dans une édition poussiéreuse des années 50 (il paraît que ce n’est plus réédité d’ailleurs). Mais depuis un mois, j’ai un fort regain d’intérêt pour la littérature française du XIXe — et par ailleurs il m’a de long temps été recommandé par Jünger, dont c’était un des écrivains favoris (plutôt pour son journal, si mes souvenirs sont bons). Son christianisme exacerbé risque de me fatiguer, ça n’a guère de résonnance en moi ; mais lorsqu’il déchaîne sa haine, son dépit, son dégoût ou son mépris contre le bourgeois, la canaille ou le monde sans Dieu[1], il devient en revanche un véritable imprécateur, qui jette sur la page une logorrhée violente et serrée, aux phrases à la fois pléthoriques et précises, charriant à tous moments une boue sombre (autant qu’elle est parfois précieuse, à force de vocabulaire recherché). De la véritable littérature trash.
J’aime beaucoup la formule qui clôt la dédicace en tête du livre, je l’utiliserai sans doute :
« Que Dieu vous garde du feu, du couteau, de la littérature contemporaine et de la rancune des mauvais morts ! »
Ça chauffe enfin à Belgrade, dirait-on. 300 000 personnes seraient dans la rue : au départ la manifestation n’était destinée qu’à exhorter Milosevic à respecter le résultat des élections présidentielles et à partir[2], mais la foule a pris le Parlement, l’immeuble de la télévision officielle, et semble y avoir mis un peu le feu après les avoir saccagés. Peu à peu, tous les bâtiments représentatifs du régime seraient en train de tomber, et une partie de la police chargée de les défendre aurait rejoint les manifestants. Il s’agirait donc véritablement d’une situation insurrectionnelle. Le président est peut-être en train de vivre ses derniers instants de pouvoir. Sa position vacillait depuis quelques temps déjà, mais Milosevic s’est déjà sorti de tant de coups durs que je préférais attendre pour voir. La question est ensuite (s’il doit partir effectivement) de savoir s’il rendra compte ou non de ses actions devant la justice. Mais que la « Yougoslavie », ou en tout cas la Serbie, verse dans la démocratie et une culture moins agressive, n’en serait pas pour autant assurée. Kostunica, le rival de Milosevic aux élections, n’est pas le démocrate qu’on a dit rapidement dans nos médias, mais un nationaliste lui aussi, dont le parti fait partie intégrante du jeu politique mis en œuvre par Milosevic depuis des années, et dont certains amis ont levé des milices pour attaquer Vukovar en 1991, sont allés soutenir Karadjic et Mladic à Pale par la suite, et il n’a pas non plus abdiqué le rêve de la Grande Serbie, pathétique, ringard, et symptomatique de l’état du monde.
[1] En cela, se distingue-t-il dans son siècle, où la révolte contre le monde nouveau, de Balzac à Baudelaire, Flaubert ou Verlaine, a beaucoup occupé les littérateurs de tout poil ?
[2] Surtout que la Cour constitutionnelle à sa solde vient de déclarer le premier tour annulé, ce qui était surtout une façon pour lui de prendre le temps de voir les choses venir (pensait-il).