Jeudi 31 août 2000, Nantes

Préface aux sapates, de Francis Ponge (1935)

         Ce que j’écris maintenant a peut-être une valeur propre : je n’en sais rien. Du fait de ma condition sociale, parce que je suis occupé à gagner ma vie pendant pratiquement douze heures par jour, je ne pourrais écrire bien autre chose : je dispose d’environ vingt minutes, le soir, avant d’être envahi par le sommeil.

         Au reste, en aurais-je le temps, il me semble que je n’aurais plus le goût de travailler beaucoup et à plusieurs reprises sur le même sujet. Ce qui m’importe, c’est de saisir presque chaque soir un nouvel objet, d’en tirer à la fois une jouissance et une leçon ; je m’y instruis et m’en amuse, enfin : à ma façon.

         Je suis bien content lorsqu’un ami me dit qu’il aime un de ces écrits. Mais moi je trouve que ce sont de bien petites choses. Mon ambition était différente.

         Pendant des années, alors que je disposais de tout mon temps, je me suis posé les questions les plus difficiles, j’ai inventé toutes les raisons de ne pas écrire. La preuve que je n’ai pourtant pas perdu mon temps, c’est justement ce fait que l’on puisse aimer quelquefois ces petites choses que j’écris maintenant sans forcer mon talent, et même avec facilité.

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Lundi 21 août 2000, Nantes

« Foutez comme des ânes débattés ; mais permettez-moi que je dise foutre ; je vous passe l’action, passez-moi le mot. Vous prononcez hardiment tuer, voler, trahir, et l’autre vous ne l’oseriez qu’entre les dents ! Est-ce que moins vous exhalez de ces prétendues impuretés en paroles, plus il vous en reste dans la pensée ? Et que vous a fait l’action génitale, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour en exclure le signe de vos entretiens, et pour imaginer que votre bouche, vos yeux et vos oreilles en seraient souillés ? Il est bon que les expressions les moins usitées, les moins écrites, les mieux tues soient les mieux sues et les plus généralement connues ; aussi cela est ; aussi le mot futuo n’est-il pas moins familier que le mot pain ; nul âge ne l’ignore, nul idiome n’en est privé ! il a mille synonymes dans toutes les langues, il s’imprime en chacune sans être exprimé, sans voix, sans figure, et le sexe qui le fait le plus, a usage de le taire le plus. »

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